La Seigneurie de Blanquefort au Moyen-Age 

Le seigneur de Blanquefort 


Le nom du seigneur de Blanquefort est celui qui revient le plus souvent dans l'histoire locale au Moyen-âge. Son pouvoir est immense. Il a le droit de haute justice sur tout le territoire qui s'étend depuis la paroisse d'Avensan jusqu'au bassin d'Arcachon.
Ces paroisses comprenaient : la seigneurie d'Arès, Le Temple, la seigneurie d'Audenge, Saint-Médard-en-Jalles, Le Taillan, partie de Mérignac avec partie de la seigneurie de Veyrines, Avensan avec la seigneurie de Citran, Soussans, Margaux, Cantenac avec la seigneurie d'Issan et la maison noble d'Angludet, la seigneurie d'Arsac, Labarde avec la maison noble de Giscours, Parempuyre avec la seigneurie de la Mothe-Caupène et la maison noble de Vallier, Ludon avec la seigneurie d'Agassac et les maisons nobles du Vergier, de Peyre et de Lamothe, Macau et Ludon dehors avec la seigneurie de Cantemerle.
Cette dernière juridiction demande quelques explications. La cure de Macau était à la collation de l'abbé de Sainte-Croix, et celui-ci était curé primitif de la paroisse et seigneur haut-justicier du bourg et de la palu de Macau. Le reste de la paroisse, ainsi que Ludon, dépendait de la châtellenie de Blanquefort, avec les seigneurs de Cantemerle et d'Agassac.
Plus tard, ces deux seigneurs acquirent le droit de haute justice sur leurs juridictions respectives, et celle de Cantemerle fut appelée « Macau et Ludon dehors », pour la différencier de celles de Macau et de Ludon proprement dites.
Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p.19.
 
Sur le même sujet, lire l'article "la forteresse et son seigneur".

Dans le Bas-Médoc, Blanquefort possédait une puissance comparable à celle de Lesparre. Son château, construit sur l'emplacement d'un oppidum gaulois, puis d'un castrum romain, commandait toute la région en même temps qu'il servait de bastion avancé à Bordeaux.

La tradition attribue sa fondation à une « dame blanche » d'une grande beauté et possédant des richesses incalculables.
D'après Guillon (Les châteaux historiques et vinicoles de la Gironde, 1867), il s'agirait de Blanca ou Blanqua Bianca, fille d'un chef arabe établi à Gironville (Macau) et qui la laissa après la bataille de Poitiers. Cette princesse aurait donné son nom à la localité. Blanquefort venant de : Fort de Blanqua. Il est vrai qu'une autre interprétation est donnée, à savoir la blancheur des pierres du château.
 
Depuis les Romains jusqu'au XIe siècle, l'histoire du lieu est inconnue. La plus ancienne archive s'y rapportant date de 1027, Akelmus de Blanquefort figurant sur donation faite par Sanche, comte de Gascogne, en faveur de Saint-André de Bordeaux. Il existe aussi des chartes de 1098 et 1108 mentionnant Arnaud de Blanquefort de Wilhemfurt, seigneur d’Ornon et chevalier. Cet Arnaud signa, avec Aimeric et Guitard de Bourg et Pierre de Bordeaux la charte de fondation du prieuré de Mansirot. Aimeric et Arnaud, vicomtes de Blanquefort, se trouvaient au nombre des dix chevaliers qui s'unirent à Othon, neveu du duc de Guyenne, et prirent le titre de défenseurs et protecteurs de l'abbaye de la Sauve. Arnaud et son épouse donnèrent en franc alleu à cette abbaye, dirigée par Pierre d'Amboise après 1126, une terre située entre la Jalle et le Jallet, moyennant une redevance d'un sixième et demi.

Vers 1130, Amaubin, archidiacre de Saintes, fit donation à l'abbaye de Sainte-Croix, de l'église Saint-Nicolas de Blanquefort, située « au-dessous du château ». Nous savons que la Garonne était, à cette époque, bien plus large que de nos jours. Les poissons y étaient nombreux ainsi que dans les Jalles (dont les premières furent creusées par les Normands pour faciliter l'écoulement des eaux des marais médocains). Autour des lieux encore appelés aujourd'hui Port-du-Roy, l'Ile, la Rivière, les moines de la Sauve percevaient la dîme sur la pêche, droit que leur avait accordé Gombaud de Blanquefort, en 1137. De plus, ils firent construire de nombreux moulins.
 
Mais, si les premiers seigneurs du lieu faisaient preuve d'une certaine générosité dans leurs dons aux autorités religieuses, ils n'hésitaient pas, à la première occasion venue, à reprendre ce qu'ils avaient donné. D'où des procès qui n'en finissaient plus : ainsi en 1173 et 1174. Lors de la troisième croisade (1189-1198), un membre de la famille de Blanquefort, Amanieu, combattit avec Richard Cœur de Lion. En 1219, Arnaud III, sous les ordres de Catulle, comte d'Astarac, au service du comte de Toulouse, défendit Marmande assiégée par Amaury de Montfort,
Le roi d'Angleterre tenait en haute estime les seigneurs de Blanquefort, comme le prouve cette lettre du 12 juillet 1234 : « Vous connaissez assez la contestation qui existe entre Nous et le roi de France ; vous savez comment il s'est emparé méchamment de nos bonnes gens et de notre terre en Gascogne ; en conséquence, nous vous requérons et vous prions en grâce .de nous aider, comme vous et vos ancêtres nous avez toujours aidés, nous et les nôtres à recouvrer, maintenir et défendre notre dite terre. Faîtes en sorte que dans cette circonstance, nous ayons à nous louer, comme toujours, de vos bons services. »

En 1236, Arnaud III déclara la guerre au seigneur de Lesparre. La paix fut conclue sur l'intervention du roi d'Angleterre qui écrivit aux deux barons pour leur annoncer son mariage avec Aliénor et leur recommander de vivre en bonne intelligence et faire observer la trêve à leurs vassaux respectifs. Ce qui n'empêcha pas Arnaud d'entrer en guerre, à la suite de la maison de Toulouse, contre le vicomte de Fronsac.
Henri d'Angleterre lui écrivit alors, le 22 aout 1242 : « Sachez que nous avons établi une trêve entre vous et le vicomte de Fronsac jusqu’à la fête de Saint-André. Tant qu'elle durera, tout doit rester en paix, et vous, ni le vicomte de Fronsac, n'avez le droit de vous faire réciproquement aucun tort. C'est pourquoi nous vous ordonnons en vertu de la foi que vous nous devez, de laisser en paix le dit vicomte et la vicomtesse sa mère ; nous vous défendons de les molester ou de leur faire la moindre injure, non plus qu'au seigneur de Bourg. S'il arrive, pendant cette trêve, que quelque dommage ou quelque peine soient causés par votre faute à votre adversaire ou à ses sujets, nous vous condamnerons à payer une amende. Et si, pendant le même temps, le vicomte moleste vous ou les vôtres, et vous fait éprouver quelques pertes, il sera condamné à la même peine. Nous vous prévenons que nous avons écrit dans le même sens au dit vicomte. »
La même année, on signale la présence d'Arnaud III à la bataille de Taillebourg et sa participation, comme vassal du roi d Angleterre, à la signature de l'alliance conclue entre le roi de France et le comte de Toulouse.
 
La guerre s'étant rallumée en Guyenne entre Louis IX de France et Henri III d'Angleterre, Arnaud reçut, de ce dernier, cette lettre : « Je vous invite à vous trouver à Sainte-Bazeille, le jour de la Saint-Mathieu ; venez-y avec tout le service que vous me devez et tâchez d'emmener à votre suite autant de braves gens que vous pourrez ; ils seront à ma solde et je paierai les frais de voyage. » Arnaud III eut trois enfants : Eyquem-Wilhem ou Ayquem-Guillaume, Thalésie, qui se maria avec le seigneur de Lamarque, Raymonde, épouse de Pey ou Pierre de Bordeaux. À sa mort, Eyquem lui succéda, mais disparut rapidement à son tour. Raymonde obtint la seigneurie de Blanquefort et la donna en dot à sa première fille Assalide, épouse de Géraud de Blaye ; sa seconde fille, Ida, s'étant mariée avec Béraud de Goth de Lomagne en 1249. Mais, en 1255, Thalésie, dame de Lamarque, privée de l'héritage, implora l'appui du prince Édouard, duc d'Aquitaine, et promit que, si elle recouvrait le château, elle le lui donnerait pendant cinq ans, se réservant les hommages et les revenus.
Édouard ordonna alors une assemblée des trois états du Bordelais, qui se tint le 4 avril 1256 en la chapelle capitulaire des frères prêcheurs. Il y fut décidé que Pierre Bertrand, époux de Mabile, fille de Géraud de Blaye et d'Assalide, devrait remettre le lendemain le château de Blanquefort entre les mains du sénéchal. L'année suivante, l'évêque d'Heresford en prit possession au nom du roi, mais celui-ci ne le garda pas et l'attribua aussitôt à une dame de Chalès, pour le racheter ensuite aux enfants de celle-ci, Alaïde et Bernard de Trencaléon. En 1287 et 1289, Édouard d'Angleterre vint à Bordeaux, et, malade, dut aller se reposer au château de Blanquefort. Arnaud, fils de Pierre Bertrand, essaya de faire valoir ses droits et s'adressa au pape Nicolas IV en 1288. Sur l'intervention de celui-ci, Édouard 1er s'inclina et concéda à Arnaud le château à titre de fief révocable (14 juin 1289). Cependant, en 1297, le roi reconnut en douaire à sa femme Marguerite, sœur du roi de France, le château et ses dépendances.

Le 16 juin 1308, Edouard II en fit don à Bertrand de Goth, neveu du pape Clément V (celui-ci fils de Beraud et Ida) : « Sachez qu'à cause de notre amitié pour le Souverain Père Clément et du désir que nous avons de lui être agréable et pour les bons services que nous avons attendus de son neveu Bertrand de Goth, chevalier, nous désirons faire à ce dernier un don qui lui serait agréable. En conséquence, nous lui donnons le château et la ville de Blanquefort avec tous ses revenus se montant à 1 500 livres chipotines par an. Nous garantissons pour nous et nos héritiers cette possession que Bertrand pourra transmettre à ses héritiers légitimes. Et comme Bertrand sera tenu d’être notre intermédiaire lorsque nous aurons des affaires avec la Cour romaine, si les revenus de la seigneurie n’atteignent pas 1 500 livres chipotines par an, l’appoint en sera fait à lui ou à ses héritiers sur la coutume de Bordeaux par les mains de notre connétable jusqu’à ce que nous lui ayons octroyé d'autres terres dans le duché d'Aquitaine. »
Ainsi fut fait, puisque Bertrand reçut Puyguilhem et Monségur, le 16 janvier 1313. Mais les nombreux dons qu’il recevait de tous côtés ne lui suffisant pas il détourna du trésor du pape plus de 300 000 florins nécessaires à la préparation d'une croisade. Son oncle lui pardonna cette grave faute. De son premier mariage avec Braïde de Blanquefort, Bertrand de Goth n'eut pas d'enfants. Il se remaria avec Béatrix, vicomtesse de Lautrec, dont il eut Régine. Celle-ci, mariée avec Jean d'Armagnac, mourut sans enfant. Le testament, par lequel elle faisait de son mari son légataire universel, fut attaqué devant le Parlement de Paris par le comte de Durfort de Duras, mari de Marquisa, nièce de Bertrand de Goth. Le duc de Bourbon, chargé de prononcer, accorda le château de Blanquefort, en 1323, à cette famille qui le garda jusqu'à la Révolution.
Gaillard de Durfort, s'étant attaché au roi de France, ses propriétés en Guyenne furent confisquées en 1326 et Blanquefort passa à Pons Amanieu de Madeilhan (1326), puis à Bernard Ezi d'Albret (1341).
Le 8 août 1344, Gaillard fit sa soumission au roi d'Angleterre et récupéra ses biens. Mais son inconstance et son ambition lui firent encore changer de camp. Il fut encore pardonné en 1366. Il fit partie des négociateurs chargés de préparer la paix la même année. Un historien a affirmé que, après ses chevauchées en Espagne à la tête des Compagnies, Duguesclin, fait prisonnier par le Prince Noir, fut captif durant quelque temps au château de Blanquefort.
En 1378, Gaillard III de Durfort reçut le titre de prévôt de Bayonne « n'avec toutz les profitz, gens, cens, rentz, revenues, et autres esmolumentz à y celle appartenantz, parmi ce qu'il en face au roi nostre dit seigneur, et aux siens, homage liège et autres droiz et devoirs et qu'en doivent estre faitz et sont duez et accoutumez. » Sa fidélité à la cause anglaise lui fit perdre ses terres de l'Agenais et son château de Duras fut rasé. Jean de Durfort, fut, lui aussi, prévôt de Bayonne, ainsi que sénéchal des Landes (1423) et d'Aquitaine (1440). Gaillard IV eut lui aussi la charge de la capitale basque, et, de plus, remplit les fonctions de conseiller du roi dans la cité de Bordeaux.
Texte extrait de Guy Dabadie, Histoire du Médoc, imprimerie Samie, Bordeaux, 1954, p.77-83.
 
C’est sur l’ordre de Mazarin qui fut détruit « la forteresse de Blanquefort pour mettre fin à la résistance anglaise et poursuivre la lignée de cette redoutable Maison dans ses alliances des Goth et des Durfort de Duras »
L'origine normande (ou scandinave par les Vikings) de la famille des Blanquefort peut nous éclairer et fournir une explication valable de cette longue guerre de cent ans qui ensanglanta la région d'Aquitaine ; en effet cela peut expliquer et permettre de « comprendre l'origine des sympathies de la Guyenne pour l'Angleterre. Si les Vikings se sont fixés en Normandie, nous savons que c'était par la volonté de Charles le Simple qui accorda cette terre à leur chef Rollon, qui régna sous le nom de Robert 1er. Mais ce même Charles le Simple régnait dans son Ile-de-France, sur les bords de la Seine, et n'avait aucune autorité sur les bords de la Garonne.
Alors les Vikings envahisseurs se sont installés dans le Sud-Ouest comme dans un pays conquis par eux. Ce sont eux qui baptisèrent ce pays « Guyenne » et leur cousinage subsistait tout naturellement sur les bords de la Tamise avec les descendants des Normands qui possédaient la même origine que leurs ancêtres.
Leur vieil esprit guerrier et leur science militaire bien connus des historiens et des archéologues firent le reste qui devint plus tard l'esprit de caste de la féodalité. Or, parmi ces familles de Guyenne qui furent non seulement les plus outrancières mais les plus longues à accepter la tutelle des Rois de France, nous pouvons citer particulièrement la filiation de cette redoutable maison des Blanquefort sous la forme des Durfort de Duras leurs successeurs directs. C'est d'ailleurs la seule explication du geste de destruction de Mazarin.
Maurice Métraux, Les « Blanquefort » et les origines wikings dites normandes de la Guyenne sous la féodalité, Imprimeur Samie Bordeaux, 1963, p.27-29.