Le mûrier blanc 

Dans le parc du château Lescombes (198 avenue du Taillan-Médoc à Eysines), il est un mûrier blanc (Morus Alba) d'une stature trapue, au tronc à la fois tourmenté et harmonieux, vieillard crevassé, étayé, cerclé, pansé et qui reverdit encore à chaque printemps. Il témoigne qu'au 18e siècle des plantations furent encouragées afin de développer, ici en Aquitaine, la production de la soie.

Rappelons brièvement l'histoire de l'importation de cette culture depuis l'Extrême-Orient. L'arbre, originaire de Chine, avait été introduit en France au 14e siècle, temps de la papauté d'Avignon. Une forte impulsion fut donnée ensuite sous le règne d'Henri IV grâce à l'agronome Oliver de Serres (1539-1619) : il fallait alors échapper à la dépendance des productions italiennes.

Après un fantastique succès en Languedoc, la culture du mûrier se propagea en Aquitaine au 18e siècle. Une des principales raisons qui incita les propriétaires terriens à expérimenter cette culture fut le médiocre revenu procuré par la vigne surtout du Haut pays (en amont de Bordeaux). On pensait que l'élevage des vers à soie (sériciculture) pouvait constituer une nouvelle ressource. Les expériences réalisées en Languedoc l'avaient prouvé. Entre 1737 et 1750, les plantations de mûriers se répandirent dans toutes les pépinières de la Généralité de Bordeaux (Périgueux, Libourne, Blaye, Sainte-Foy, Marmande, Villeneuve-sur-Lot, Bergerac, etc.)

En 1754, les pépinières de Bordeaux détenaient un stock de 50 500 plants de mûriers prêts à être plantés. Bref, au total, les pépinières de Guyenne en possédaient plus de 300 000 pieds ! Croyant au succès de cette culture - qui s'accommodait même des terres incultes - tout le monde voulut en planter et créer des magnaneries (usines à soie). L'intendant Tourny obligea propriétaires et cultivateurs à planter le long des routes qui traversaient leurs domaines « des arbres fruitiers », parmi lesquels sont cités les mûriers. Ces arbres de taille moyenne formaient des alignements le long des chemins ou en bordure des parcelles cultivées. La récolte des feuilles, activité très prenante et délicate, était effectuée par les femmes et les enfants.

La physiocratie naissante multiplia les vocations. Ajoutons aux encouragements des pouvoirs publics ceux des négociants Lyonnais eux-mêmes, incitant les habitants de Guyenne à produire la matière première pour leur luxueuse industrie. Autre avantage, la culture des mûriers était d'un rapport presque immédiat. C'est aussi pour cette raison qu'elle avait séduit un grand nombre. Pour un olivier, il fallait deux générations avant la première récolte, une seule pour un châtaignier ; celui qui plantait un mûrier obtenait de suite les bénéfices.

En Aquitaine, l'arbre poussait bien ; cependant il ne fournissait qu'une nourriture médiocre aux élevages de vers à soie. Les pluies souvent abondantes et les brouillards matinaux, fréquents dans la vallée de la Garonne, en un mot le climat humide du Sud-Ouest, ne convenait pas à une production de qualité. À partir de 1780, on y renonça peu à peu. La Révolution entraîna la suppression des établissements d'État. Finalement, on préféra travailler à l'amélioration des espèces fruitières, notamment celles des noix et des châtaignes plutôt que de poursuivre cette culture qui avait constitué une expérimentation à grande échelle.

Article de Cadish, journal Sud-ouest du 7 juin 2011.