Les chats du marais 

En vous promenant dans le marais, vous avez certainement aperçu des chats et vous vous êtes demandé pourquoi ces petites bêtes vivaient à l’état semi-sauvage là où le vent peut parcourir des kilomètres sans rencontrer la moindre habitation. Ces chats sont les descendants des chats des maraîchers.

Quand j’étais petite, au début des années 30, nous avions une chatte grise et blanche nommée Toutouche. En hiver, elle somnolait près de la cheminée, le museau sur ses deux pattes croisées, les yeux mi-clos, et ne daignait bouger que pour manger des restes dans son écuelle ou pourchasser la pelote de laine qui s’échappait parfois du giron de l’aïeule.

Mais dès que le mois de mars arrivait, nous la trouvions un matin grimpée sur la charrette pour accompagner la famille qui partait travailler au jardin. Elle y restait pendant toute la belle saison, profitant librement de tous les menus plaisirs que lui procurait le marais : la chasse aux oiseaux, aux mulots, aux taupes, les longues siestes sur le toit de la cabane, une courtilière reçue en guise de friandise mais surtout les promenades silencieuses le long des fossés en essayant de ne faire bouger ni un brin d’herbe, ni une feuille de menthe.

Le seul drame était les portées de chatons qui ne manquaient pas d’arriver, parce que beaucoup de chats, comme Toutouche, suivaient les familles de maraîchers qui travaillaient toute la journée au jardin et mangeaient sur place dans leur cabane. Bien que la chatte s’employait à cacher sa progéniture, elle était facile à trouver dans la cabane, derrière un tas de sacs de patates, dans un ballot de plumes ou dans le foin de Marquis, notre cheval. Mon père répugnait à tuer les chatons mais il fallait bien le faire et, de temps en temps nous le voyions partir, le cœur gros, pour noyer les petits dans la Jalle.

Quand les premiers froids se faisaient sentir et que les pluies d’automne noyaient les jardins, on trouvait Toutouche sur la charrette pour le voyage de retour vers son coin de cheminée.

Quelques années plus tard, après la guerre, nous avons eu un autre chat, un beau matou au pelage roux nommé Giboulée. Notre voisin Camilo qui arrivait de captivité nous assurait que c’était un chat russe parce qu’en Russie, disait-il, tous les chats étaient roux. Nous n’avons jamais eu l’occasion de le vérifier. Toujours est-il que Giboulée ne tenait pas à passer l’été au jardin. Il préférait rester à Eysines et suivre Pompon notre chien partout où il allait. Pompon était un ratier tout blanc (un jack russell comme on les appelle maintenant) qui fréquentait assidûment les cressonnières où il pourchassait les rats. Giboulée le suivait. Parfois il chassait avec lui, parfois il restait sans bouger sur le bord du bassin, la tête au ras du sol, les moustaches hérissées et d’un bond il allongeait la patte et cueillait un triton. Un jour, Pompon est mort, de vieillesse sans doute.

Après la mort de son ami, Giboulée a cessé de s’alimenter, il n’est même plus allé aux cressonnières et quinze jours plus tard, il n’était plus là.

chat-du-marais

Alors, quand vous reviendrez vous promener dans le marais, pensez que ce sont peut-être les descendants de Toutouche ou de Giboulée que vous croiserez.

Texte écrit d’après les souvenirs d’Huguette Baudon Ladevèze, extrait du blog de l’association Connaissance d’Eysines, 31 janvier 2015.