L'évolution des mentalités 

Les Saint-Aubinois de naguère n'aimaient pas qu'on les brusque. Ils n'adoptèrent le progrès qu'après y avoir longuement réfléchi et leurs options ne furent pas toujours très judicieuses.

Lorsqu'on parla de construire une ligne de chemin de fer, en 1874, le conseil demanda le passage de la ligne sur la commune, proposant de céder gratuitement le terrain pour son emprise sur tout notre territoire. Plus tard, on insista pour que la gare de Saint-Médard soit située le plus près possible de Saint-Aubin, mais ces demandes n'eurent pas la suite qu'on espérait. Néanmoins, nos édiles avaient été, dans cette affaire, partisans du progrès.

Par contre, en 1904, le conseil refusa l'installation d'une ligne téléphonique : « Ne présente aucun intérêt pour la commune qui n'en retirerait aucun avantage », dit le procès-verbal de séance.

Ils furent tout aussi clairvoyants, et misogynes en plus, lorsqu'en 1911, argumentation sérieuse à l'appui, ils démontrèrent que, pour diriger l'école, jamais une institutrice ne pourrait remplacer un instituteur. De plus, elle ne pourrait jamais être secrétaire de mairie car « l'exploitation des biens communaux aurait sûrement à souffrir du défaut de compétence inévitable chez une femme... » Ah, qu'en termes galants... ! L'année suivante, ils financèrent très modestement une expérience de barrage électrique contre la grêle, avec beaucoup de méfiance toutefois. Le conseil manifeste son étonnement de se voir demander une subvention pour une entreprise dont on ne lui fait connaître ni la nature ni le fonctionnement. Cette fois, ils avaient raison car l'expérience fut un échec. Ils n'y avaient perdu que vingt cinq francs.

Bien sûr, ils déposèrent une motion pour demander une loi interdisant la grève dans les services publics. La journée de huit heures leur semblait une monstruosité : « Le conseil émet le vœu qu'elle soit supprimée et que la liberté entière soit laissée aux employeurs et employés de débattre le nombre d'heures et le prix des salaires, comme le proclament avec raison les droits de l'homme et du citoyen..., que toute proposition dans ce but soit rigoureusement écartée des études des congrès futurs du Parlement comme attentatoire à la liberté des citoyens et néfaste pour la production nationale que tous ont le devoir de protéger et non de restreindre ».

Quand on parla de l'heure d'été, en 1923, ils demandèrent de conserver l'heure solaire « dont se sont accommodées les générations depuis l'origine des siècles ». Et plusieurs dizaines d'années après, la cloche sonnait encore midi à l'heure ancienne.

Mais ils ne purent s'opposer indéfiniment au progrès et durent accepter la première ligne téléphonique en 1924, soit vingt ans après leur premier refus. Ils en profitèrent pour faire installer la première cabine publique. Peu après, ils finançaient, pour 340 000 F la création d'un réseau électrique, ce qui permit d'électrifier les bâtiments communaux en 1926, puis d'établir un éclairage public de treize lampes l'année suivante. Le goudronnage des routes était, sans nul doute, un progrès intéressant mais, comme toujours, il y eut des réserves : « considérant que, si le goudronnage des routes semble assurer une apparence de résistance et de durée, il est, en revanche, la cause de glissades et de chutes pour les animaux de traction, le conseil émet le vœu que la partie droite de la route de Saint-Médard à Bordeaux, ne soit pas goudronnée dans les parties en côte de Gajac et du Haillan ». On en rira, peut-être, mais les quelques survivants qui ont eu l'occasion de conduire un attelage, ont constaté, bien souvent, que les sabots ferrés des bœufs et des chevaux glissent sur le goudron mouillé et que toute circulation leur est interdite en cas de verglas.

Nos pères craignaient l’innovation. Et nous… ?

Texte extrait : Chronique de Saint-Aubin-de-Médoc, René-Pierre Sierra, juin 1995, éditeur mairie de Saint-Aubin-de-Médoc, p.187-189.