Le bourg 

 

Le quartier du bourg est le centre-ville aujourd'hui. Délimitons-le de la piste cyclable, avenue Montaigne, au carrefour des routes de Lacanau et du Porge, « la Vierge », pour les vieux Saint-Médardais ; à gauche, derrière le presbytère sur l'avenue Montaigne, le quartier du Gabachot, qui tire son nom du terme « gabatche », « étranger » en gascon. À droite, le collège François-Mauriac ; il est bâti dans la propriété Dethomas où se trouvait, jusqu'aux années 1950, une maison bourgeoise à simple rez-de-chaussée et à véranda style 1900.

Elle a accueilli avant les années 1920 le peintre espagnol Ignacio Zuloaga (1870-1940) peintre d'Alphonse XIII, marié à Valentine Dethomas. De 1940 à 1944, les Allemands occupent les lieux. À la Libération, des jeunes gens de la commune leur succèdent. Ils sont commandés par un ingénieur des Poudres, le commandant Lemaire. Ils forment le 92ème bataillon du génie. D'autres partent sur le front du Médoc où l'un d'eux, Gilbert Paquis, laisse sa vie.

Plus loin à droite, l'ensemble scolaire primaire actuel, puis l'immeuble Montaigne, succèdent aux vieilles écoles de filles et de garçons.

Entre les deux, se trouvait une construction à étage de belle allure montée sur un long perron de trois marches et encadrée par deux jardinets clos, vers la rue, par des grilles à pointes de piques qui avait été la mairie de la commune jusqu'en 1886, puis le logement du directeur de l'école de garçons et celui des sœurs qui dirigeaient celle des filles. Sa démolition en 1982, avec celle des vieilles écoles, attrista vivement les anciens habitants du bourg. Ce vieux groupe scolaire comportait depuis 1930 un cours complémentaire qui permettait d'aller, après le certificat d'études, jusqu'au brevet. C'était là que venait jusqu'à la guerre, tous les jours, depuis Lacanau où il habitait, par l'autorail qui le laissait à la halte du passage-à-niveau, Georges Coulonges, le romancier de « La Fête des écoles » et le parolier inspiré de chansons inoubliables (« Potemkine »). La proue arrondie de l'immeuble Montaigne occupe l'emplacement de l'ancienne école des filles.

En face de l'école de garçons, un charron costaud au grand tablier de cuir exerçait une partie de son activité sur le trottoir. Les petits garçons curieux venaient voir le spectacle du cerclage des roues de charrettes ; il y a là maintenant un atelier de ferronnerie.

Face à l'immeuble Montaigne, à l'angle de la place de la République, dans la maison où l'on peut acheter les journaux était établi, avant la guerre et depuis des décennies et des décennies, un café-restaurant dont la tenancière recevait à manger le midi les enfants des écoles habitant trop loin pour rentrer chez eux.

De l'autre côté, dans la très vieille grange en moellons et en planches qui existe toujours, un maréchal-ferrant offrait aux petits spectateurs du charron une nouvelle attraction. Un cordier s'installait aussi quelquefois, sur le trottoir d'en face à l'occasion des foires.

L’entrée du bourg proprement dite est là avec la place de la République à gauche et le domaine « Le Bourdieu » en face. C'est là aussi, pour la circulation, le début du goulet d'étranglement de la commune. Cette vaste place, où trône depuis bientôt trente ans le Centre culturel, entre deux parcs de stationnement de voitures, a bien changé. Lorsqu'elle était encore le champ de foire, jusqu'aux années 1960, elle était couverte d'herbe et ombragée de platanes. La vocation première du champ de foire était les foires aux bestiaux du troisième samedi de chaque mois. Un grand bassin rectangulaire où s'abreuvaient les bestiaux des foires, les chevaux des voitures ou les animaux des cirques était situé au centre du parking où se tient le marché. Le Centre culturel occupe un tiers de l'ancien champ de foire. Il fut inauguré le 19 décembre 1970 par le Premier ministre de l'époque, maire de Bordeaux, devant un impressionnant parterre de personnalités.

Les commerces alentour avaient une longue histoire. Beaucoup ont disparu aujourd'hui. De jolies anecdotes circulent sur certains. La nuit du sévère bombardement de la poudrerie, le 29 avril 1944, le boucher et sa femme avaient fui vers Le Cassy-Vigneil, comme les autres habitants du quartier. Au retour, ils trouvèrent la façade de l'étage au-dessus de leur boutique, tombée en travers des rails du tramway et leur chambre grande ouverte sous le toit affaissé avec leur lit tout défait, en bordure du vide. Alors, après un temps d'ébahissement devant ce spectacle cocasse, ils éclatèrent de rire et tout le quartier avec eux... Presque en face, juste à côté de la boulangerie plus que centenaire, habitait le croquemort et sa famille ; c'était un homme foncièrement bon qui aimait le vin et ses copains. Il avait un fils à l'esprit d'entreprise incontestable, qui, après la fin de la Grande Guerre, avait eu l'idée le de proposer aux familles des enfants de la commune morts au champ d'honneur, de s'occuper de faire rapatrier leurs corps, moyennant honoraires, bien entendu. Il eut plusieurs commandes, et effectivement des cercueils plombés arrivèrent. Certains, ouverts à la suite de rumeurs, se révélèrent remplis de sable. L’affaire fit grand bruit, l'escroc fut jugé, condamné à la prison et on ne le revit plus.

En poursuivant notre balade en zigzag sur l'avenue Montesquieu avec ses maisons à étages, au carrefour de la rue Francis-Poulenc était érigée la croix du bourg mentionnée sur le plan de 1748, alors qu'aucune maison n'existait encore aux alentours.

En face, la rue du Chanoine-Montfort mène à l'ensemble immobilier du même nom qui a remplacé il y a une douzaine d'années un quartier fort médiocre d'aspect qui fut pittoresque et vivant.Jusqu'aux années 1960, s'y trouvait l'école libre de filles, et avant la guerre, le siège du patronage de la paroisse. C'est de là que partaient des expéditions sur les bords de la Jalle à Caupian et Bonneau ou au Thil et aux « caves de Tiran », sans doute des restes de carrières de cette ancienne seigneurie où un explorateur de dix ans trouva un jour, d'après son rapport verbal à l'abbé, des œufs de crocodile... Mais surtout, un vicaire des années 1920 épris de cinéma y projetait dans une salle aménagée des films de ses voyages ou des promenades du jeudi et, bien sûr, des Charlot, des Laurel et Hardy, des Max Linder etc. Ses successeurs, par chance, eurent aussi un certain goût pour le cinéma si bien que, longtemps, le dimanche après les vêpres où l'on s'ennuyait ferme, le quartier retentissait de rires, de battements de mains, de trépignements de pieds.

On arrive maintenant sur la place de l'hôtel de ville où tout est transformé : démolitions, constructions neuves, activités nouvelles ; ce côté de la rue contraste vivement avec l'autre qui, lui, n'a guère changé au cours du siècle, mis à part des détails de façades et d'autres commerces. C'est en 1934 et 1935 que la mairie a pris son aspect actuel par la surélévation d'un étage coiffé d'un toit aristocratique, à campanile sans cloche, mais pourvu d'une sirène d'alerte, et la construction de la galerie de façade, couronnée de la balustrade du balcon d'honneur et du perron. Elle fut inaugurée le 17 mai 1936 par le maire Antonin Larroque et son conseil municipal. L’architecte de la commune était M. Dumons. Le vitrail de l'escalier d'honneur, représentant le pont et le moulin de Gajac, est l'œuvre de M. Chauffrey. Les quatre tableaux de la salle du premier étage, qui ne sont malheureusement plus visibles depuis plus de vingt ans, sont du peintre Caverne ; ils rappellent les activités traditionnelles de la commune par quatre personnages : une blanchisseuse, un agriculteur, un résinier et un vigneron. Les sculptures de la façade sont de M. Tuffet. L’ensemble, bâtiment et décoration, est marqué par le style Arts déco des années 1930. Pendant la durée des travaux, les réunions du conseil et les services municipaux se tiennent au Casino. À la fois cinéma et salle de bal, il était situé à l'emplacement de l'actuelle caserne des pompiers. En 1980, le bâtiment annexe est rajouté. La commune construit ensuite l'immeuble Le Parvis. La passerelle le joint à l'annexe. L’ancienne mairie datée du début du XVIIIe siècle fut achetée par la commune à Frédéric Thévenard, le 9 juillet 1886, pour la somme totale de 40 600 francs. Le parc n'a plus rien à voir avec ce qu'il était jusqu'aux années 1970. Bien sûr, depuis son acquisition par la commune, des changements étaient intervenus comme la construction de la poste (l'actuel centre de paiement de la Sécurité Sociale), de l'établissement des bains-douches en 1937 et, enfin de deux classes pour les filles. Après les communs et les classes existait un mur de clôture à l'emplacement du central téléphonique. En 1942, un événement étrange s'y produisit. Une petite caravane stationnait près du mur depuis plusieurs mois quand, un dimanche matin assez tard, le garde champêtre, étonné de n'y voir personne depuis deux ou trois jours, frappa à la porte ; n'entendant aucun bruit il se résolut à la forcer. Une odeur nauséabonde le fit reculer ; il entra cependant et trouva un lit relevable, plaqué contre la paroi du fond. Il tira sur le sommier pour le ramener au sol, mais sans effet, des ressorts puissants le maintenaient. Il alla chercher de l'aide, le lit fut abaissé et deux cadavres nus, un homme et une femme, la tête en bas, apparurent ; ils étaient face à face, l'un près de l'autre. L’homme fut reconnu tout de suite, c'était le commis de la boulangerie toute proche. Pendant leurs ébats, le sommier s'était brusquement redressé et les malheureux étaient morts étouffés entre le matelas et la cloison.

Les bains-douches qui occupaient le fond du jardin avaient beaucoup de succès en ces temps où les salles de bains étaient rares. Le samedi, des habitants huppés du bourg s'y rendaient avec, qui un grand sac à main, qui une mallette. Ils furent démolis en 1984 et remplacés par le Centre Pierre-Mendès-France, crèche et lieu de réunion. Ce changement entraîna, dans la foulée, la démolition du vieux puits qui ornait l'angle du jardin au carrefour de la route de Saint-Aubin et de la rue Frédéric-Thévenard. Ce puits était surmonté d'une tourelle ronde de six à sept mètres de haut, comportant une ouverture à hauteur de margelle. Il subsistait encore une porte en fer et des restes de l'installation de puisage.

Ce jardin était ombragé ; les grands arbres y étaient plus nombreux que maintenant et il restait au centre une vaste clairière où se tenaient des manifestations publiques de plein air, comme le concert annuel de la caisse des écoles en juillet où se produisaient les élèves des classes de toute la commune. Si le temps faisait des siennes, tout le monde prenait ses cliques et ses claques et filait au Casino où le maire de l'époque, propriétaire des lieux, invitait à continuer le spectacle. Pendant la guerre, de nombreuses autres manifestations s'y déroulèrent. Leurs produits étaient destinés à des colis pour les prisonniers et déportés de la commune. Ce n'était plus, alors, les enfants des écoles qui se produisaient sur les planches, mais des amateurs plus âgés, plus ou moins doués, mais à la bonne volonté et au dévouement manifestes. Les musiciens étaient les élèves de l'école de musique et d'anciens élèves dont certains ont fait carrière par la suite comme exécutants ou professeurs de conservatoire. L’un d'eux, violoniste, s'est fait un nom comme écrivain. Il s'agit de Roger Boussinot, l'auteur de « Jean Chalosse moutonnier des Landes » ou « Le Chien de Munich ». En juillet 1937, à l’occasion de l'Exposition internationale à Paris, l'orchestre de l'école de musique, la Philharmonie de Saint-Médard, a remporté tous les premiers prix au concours national de formations enfantines organisé par la ville de Montrouge. Le directeur, M. André Gendreu, pouvait être satisfait.

Au-delà de ces fêtes conviviales, la mairie, symbole de notre petite patrie communale, et maison de la République, voyait venir à elle la population pour les célébrations patriotiques. Pour le 11 Novembre, chaque année, les enfants des écoles étaient rassemblés avec leurs maîtres ou maîtresses et participaient au défilé jusqu'au monument aux morts, au cimetière. Pendant l'Occupation, plus de l1 Novembre et de l4 Juillet mais des défilés « vert-de-gris », des bruits de bottes. Puis, un jour de la fin août 1944, « ils sont partis » ; les cloches se mirent à sonner. En un clin d'œil, la rue, le trottoir de la mairie, la place de l'église furent noirs de-monde ; les drapeaux fleurirent aux balcons et aux fenêtres, La vraie vie allait pouvoir reprendre, les prisonniers et les déportés allaient rentrer ; on s'embrassait, on dansait. Tout à coup, un bruit bien connu, cadencé, effrayant, monta de la rue Jean-Jaurès ; « ils » n'étaient pas partis. Une troupe en armes arrivait ; elle prit positon devant la mairie et l'église, mit en batterie deux mitrailleuses : l'une dirigée vers le champ de foire, l'autre vers la Vierge. L’officier qui commandait cette troupe était bien connu des gens du bourg. Il avait longtemps habité dans la maison où se trouve maintenant le service culturel de la municipalité. Il paraissait nerveux. Les gens, apeurés, silencieux, avaient reculé et attendaient... Au bout de quelques longues minutes, en présence du maire et de son premier adjoint, un vieux monsieur, très simple dans son costume de coutil gris clair, coiffé d'un canotier, sortit de la foule, alla vers l'officier et lui dit: « Vous êtes en train de partir, la population le sait ; elle est raisonnable et ne fera rien pour vous gêner dans vos mouvements. D'ailleurs, pendant ces quatre dernières années, les rapports entre vous et nous n'ont été que ce qu'ils devaient être, vous ne pouvez pas maintenant faire un massacre. - Faites disperser la foule et retirer les drapeaux » répondit l’officier. Les cloches s'étaient déjà tues et les gamins sonneurs avaient disparu. Les gens rentrèrent chez eux avec les drapeaux. Nos derniers occupants partirent vers Caupian d'où ils allèrent se faire prendre par les F.F.I. Le parlementaire, au couvre-chef à la Maurice Chevalier, était unanimement aimé et respecté et comme il avait longtemps vécu à Hastignan, la route du Porge dans sa traversée porte son nom : Alexis Puyo.

Bien que la ferveur religieuse ne soit plus ce qu'elle fut et que les offices ne soient pas suivis comme par le passé, les Saint-Médardais sont toujours très attachés à leur église. Elle fait partie de leur vie depuis si longtemps. Elle fut le cœur de la communauté des siècles durant, alors même que le bourg n'existait pas ou n'était encore que le centre peu important d'une paroisse très dispersée. Il y eut deux interruptions du service religieux. En 1905, lors de la mise en application de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, et en 1913 à l'occasion d'un conflit digne de Clochemerle entre le clergé et le conseil municipal. L’objet du litige : la reconduction du bail du presbytère (propriété de la commune). Le problème fut réglé en 1920 par l'attribution à l'archevêché, grâce la famille Chaumet, de l'actuel presbytère, avenue Montaigne. Pour les galopins, l'église était un point de ralliement, comme l'école et le patronage. Le catéchisme des jeudis où l'on chahutait, la grand-messe du dimanche où certains étaient enfants de chœur et où les autres, groupés sur les bancs du fond de la nef du maître-autel, chantaient à pleine voix, en valse ou en tango, des cantiques que de vieilles dévotes entourant l'harmonium modulaient avec émotion. Ils goûtaient la sortie de la grand-messe, celle de Pâques surtout. Sortis avant tout le monde, ils attendaient, sous le porche, assis entre les colonnettes, le défilé des filles et des dames aux robes fleuries et aux chapeaux enrubannés attribuant au passage, avec des rires étouffés, des notes à ces paroissiennes faisant assaut d'élégance. Ces gamineries compensaient la tristesse de la cérémonie des « ténèbres » du jeudi saint, qui les voyait assis sagement devant le maître-autel à attendre dans la demi-obscurité l'extinction de quart d'heure en quart d'heure des chandelles allumées sur la main courante de la grille du chœur. À la dernière, bénédiction de leurs « ténèbres » (c'était une bûche de un mètre de long et de dix à quinze centimètres de diamètre, du bouleau, du saule ou du vergne), fendue en croix sur la moitié de la longueur et écartelée par deux coins en bois minces forcés dans les fentes juste un peu après l'entrée ; l'écorce était décorée de fleurs, d'oiseaux, d'anges gravés au couteau. C'était à qui ferait la plus belle. La bénédiction donnée, tous couraient dehors, les « ténèbres » sur l'épaule, jusqu'au bord du trottoir où ils les fracassaient à grands coups sur les pavés en faisant le plus de bruit possible Les morceaux de « ténèbres » étaient distribués aux familles, aux amis, etc.

La rue Jean-Jaurès descend du carrefour de l'église et de la mairie vers la poudrerie. Elle avait bien plus d'importance dans le passé lorsque l'entrée du personnel de l'établissement se faisait par ce portail aux piliers ornés dé grenades. Il y avait le long de cette rue cinq cafés. C'est dans l'un d'entre eux que Fernand Labrousse a été arrêté par des Français et fusillé à Souges par les Allemands le 24 octobre 1941 avec quarante-neuf autres otages.

La place de la Pompe, rénovée depuis quelques années, tire son nom de la pompe de puisage publique qui en occupait le centre. Depuis longtemps hors service, elle eut droit à une remplaçante factice de couleur bleue. Cette place très ancienne apparaît sur le plan du bourg de 1748, avec le groupe des maisons situées de part et d'autre de l'entrée de la rue Jean-Jaurès. Un puits y existait déjà. Dans les décennies passées, elle était très vivante. C'était l'un des haut-lieux du bourg ; les commères du quartier y retrouvaient les clientes du coiffeur pour dames du salon d'angle. Les papotages allaient bon train, rivalisant avec ceux du lavoir du pont de Gajac.

Plus loin, le quartier de la Vierge. Une pensée d'abord pour Serge Noailles, enfant du coin mort en Algérie. Une rue porte son nom. Un regard ensuite au magasin Casino qui occupa après diverses péripéties l'emplacement de la Coopé. C'était une société coopérative de consommation dite « Union des travailleurs » qui possédait, autour d'une grande cour donnant sur les rues devenues Serge-Noailles et Antonin-Larroque, une boucherie, une grande épicerie-comestible et ses bureaux. Cette « Coopé », fondée en référence à la loi du 7 mai 1917, par les ouvriers de la poudrerie notamment, eut entre les deux guerres une grande importance dans la vie de la commune, dans son rôle d'approvisionneur de la population, bien sûr, mais surtout peut-être, dans le cadre de la politique locale. Elle était en effet liée par nature et par les opinions de ses administrateurs, dont certains étaient aussi des édiles, à la municipalité de l'entre-deux guerres. D'où les algarades à son sujet (gestion, ambiguïté de certains candidats, confusion des genres) lors des campagnes électorales entre les tenants des différentes listes. Le maire de l'époque exploitait en famille un important ensemble, cinéma et salle des fêtes, qu'il avait fait construire pendant la Grande Guerre, juste en face de la Coopé, sur la rue qui porte son nom, à l'emplacement de l'actuelle caserne des pompiers. Ce lieu s'appelait le Casino ; son nom s'étalait en grandes lettres sur la façade de la partie supérieure d'un portique. On pénétrait entre les colonnes. La salle de cinéma, étroite et longue, possédait un balcon et au parterre, sous le balcon, une zone plutôt sombre, appréciée des couples d'amoureux, se prolongeait par un territoire « bourgeois ». Plus loin jusqu'à l'écran, après une séparation, le « vulgum pecus » avait accès, pour un prix plus modeste. Ce n'était pas, bien sûr, un cinéma d'exclusivité et les films que l'on y voyait étaient passés à Bordeaux bien des mois plus tôt. N'empêche, les gens trouvaient cela très bien ainsi et s'y rendaient volontiers en famille. Aux entractes des séances du samedi soir et du dimanche après-midi, on pouvait aller voir danser à côté. Il n'y avait pas d'ouvreuse. Il y eut aussi dans cette salle des concerts et des réunions politiques quelquefois animées. Et puis, dans les années 70, tout cela est parti : les cris des enfants au cinéma, « les rires fous des filles chatouillées » au bal et les flonflons de l'orchestre musette. À l'angle de l'avenue Montaigne et de la rue Antonin-Larroque, où se trouve maintenant un fleuriste, existait, entre les deux guerres, le café du Levant. Il y avait en devanture une décoration d'allure orientale, en mosaïque, aux couleurs flamboyantes représentant le soleil dans sa gloire naissante. Le patron, plutôt petit mais bien découplé, adepte de la gymnastique, avait monté là un cours d'éducation physique qui fut vite très fréquenté et qui forma des gymnastes de bon niveau dont certains se produisaient dans des numéros de main à main très appréciés. Ils étaient, bien entendu, de toutes les fêtes locales, mais aussi sollicités pour des spectacles à Bordeaux ou ailleurs. Ses disciples, très attachés à leur mentor aimable mais ferme, l'avaient surnommé « le Pater ». Devant cette maison où vivait un perroquet attentif et bavard, il y avait un arrêt de tramway. Lorsque les voyageurs étaient tous descendus ou montés, la receveuse de la remorque, en uniforme à petites rayures grises et blanches et au petit chapeau assorti, sifflait un grand coup en se penchant par la portière pour avertir le wattman, dans la motrice, d'avoir à démarrer. Le perroquet avait enregistré la chose, de sorte qu'entendant le tram s'arrêter, il sifflait, lui aussi au bout d'un moment. On dit que le wattman s'est quelquefois laissé prendre.

Sur ce quartier, qui porte son nom, veille la Sainte Vierge du haut de sa colonne. Ce monument, d'allure romane, a été inauguré le 18 octobre 1868 en présence des autorités du diocèse et de la commune. Il est dû à un architecte, Hostein, et à deux sculpteurs, Dumirail et Cabanne, tous bordelais. On ne le distingue cependant qu'avec difficulté malgré sa hauteur, estompé qu'il est par les panneaux indicateurs et les poteaux. Notre Sainte Vierge n'a plus jamais revu ces bolides de l'époque des Bugatti, des Delage, des Amilcar, qui viraient dans le hurlement des moteurs fouettés, le miaulement des pneus et les cris de la foule lors de l'unique grand prix automobile de Saint-Médard, le 26 juin 1932.

L’exploration du bourg se poursuit sur la route de Lacanau jusqu'au carrefour Renault où débouche, venant de la route de Saint-Aubin, la rue Jean-Valmy-Baysse qui porte le nom d'un écrivain né au bourg le 3 juillet 1874. Auteur de poèmes, de pièces de théâtre, de romans : « Simone se marie, Contes de la Jalle et de l’Estey, La Gloire de Bordeaux, etc. ». Ami de Mauriac, de Cocteau, d'Anouilh, il fut secrétaire général de la Comédie-Française de 1927 à 1939. Au cimetière de Balanguey, la première inhumation se fit le 6 décembre 1842, à la suite du transfert nécessité par l'exiguïté de l'ancien cimetière de l'église. Le même problème se posera plus tard pour celui-ci. Bien que largement agrandi depuis, il a fallu aménager Piquès : rançon du développement de la population de la commune. C'est là, à Balanguey, que le conseil municipal choisit d'implanter le monument commémoratif dédié aux enfants de Saint-Médard morts pour la France. Plus au sud, bien que les voies ferrées aient cédé la place à la piste cyclable, le bâtiment de la gare subsiste avec une vieille locomotive, deux voitures-lits et deux wagons. Ah ! la gare, du temps des trains de poteaux de mine qui ahanaient vers le port où attendaient les cargos pour Cardiff, des trains de plaisir pour Lacanau, les dimanches d'été, partis de la gare Saint-Louis pleins de pique-niqueurs en goguette dès le matin. On voyait aussi des gens endimanchés venus en charrette, encombrés de paniers, qui partaient à Andernos comme on part pour un voyage au long cours. De temps en temps, arrivait à la gare, par l'embranchement de la poudrerie, une petite locomotive essoufflée, ventrue comme une outre pleine, à roues de jouet, qui tirait avec peine un wagon, quelquefois deux : c'était la production de l'usine destinée aux dépôts de l'armée. On l'appelait le « coucou ».

Pour aller à Caupian à la fin de la Grande Guerre, on pouvait suivre l'actuelle route qui venait juste d'être terminée par les Américains, ou bien le chemin traditionnel plus direct, longeant la poudrerie, maintenant coupé à quelques centaines de mètres de son départ. Le tracé de ce chemin a fait l'objet de nombreuses contestations entre la commune et l'administration des poudres tout au long de la première moitié du XIXe siècle du fait du développement vers l'ouest de son établissement. À l'origine il passait plus près de la Jalle. Au début de la Première Guerre et en 1939, de très nombreuses constructions provisoires, estaminets, gargotes etc. s'y sont installées avec l'arrivée des cohortes de mobilisés, requis et autres « déplacés » venus travailler à la poudrerie. Il y eut même, après 1914, un camp pour les Annamites, transportés par milliers de leur lointain pays. Ce camp était fermé par un mur colossal en béton armé de près de dix mètres de hauteur, avec poteaux et chaînages engagés et percé de porches pour charrois exceptionnels. Entre les deux guerres cet ouvrage inattendu restait là tout seul au bord du chemin sans raison d'être. Il a été démoli dans les années 1950. Pour les gamins, ce chemin était un peu comme une route des vacances puisqu'il menait à la Jalle, aux baignades, aux promenades en bateau ou dans les bois du bord de l'eau. Ils se moquaient bien de savoir que le village de Caupian n'existait pas avant la construction des installations du camp militaire commencée en 1898 et que d'après la carte dite du Conseil général de 1874, à part le moulin on n'y trouvait que deux maisons éloignées l'une de l'autre, bien que des soldats souvent en grand nombre y avaient déjà séjourné depuis

1870. Le site du moulin, toujours agreste et frais l'été, n'est plus pourtant ce qu'il reste dans nos souvenirs. Le moulin lui-même a été modifié et il n'est plus question de plonger de son toit dans le bassin devant la façade, où l'eau est profonde. On ne se baigne d'ailleurs plus à Caupian, on ne lézarde plus sur le sable de l'île, entre le cours principal de la rivière et le bras de fuite du déversoir. Depuis le déversoir au bout de l'île, où l'on se baignait aussi, on allait en bateau à rames ou en canoë au Pas de la Molle à l'embouchure du ruisseau d'Issac, le Guitard, et on continuait à pied, sur le sable du lit, de l'eau à mi-jambes en tirant le bateau, jusqu'à l'ancien moulin de Bonneau. L’ombre des vergnes laissait sur le fond des taches de soleil brouillées au passage par l'eau agitée et le sable soulevé. Il y avait encore les promenades sentimentales dans les bois, près de la fontaine des noisetiers, et le long des sentiers des bords. Le village est récent, mais bien avant l'installation du camp militaire, les habitants de la commune se rendaient dans ces lieux, au moulin et aussi pour exploiter des carrières sur la rive gauche de la Jalle dont on trouve les vestiges derrière les bâtiments de l'I.G.N. et du C.E.T.E., vers le sud. Cette pierre de Caupian, en grès ferrugineux, jaune rouille, friable, relativement peu résistante, donc facile à travailler, a servi à construire bien des maisons de la commune pendant des siècles peut-être, jusqu'au tournant du XXe. On la voit encore sur des vieux murs dégradés. Près de ces carrières subsistent, vers l'ouest, les restes de deux buttes de tir où s'exerçaient les soldats. L’implantation du camp militaire permanent avait entraîné l'arrivée en nombre de bistrots, de cantines... qui l'encadraient sur sa façade sud : « le Petit-Caporal », « les Quatre-Sœurs » et des maisons mal famées comme « le Pin-Vert ». Il reste de ce temps un bar-tabac, avec piste de danse sous les érables. Dans une grande maison, qui existe toujours, s'est tenu un temps l'état major du camp. La rénovation d'une partie de cet ancien camp a donné naissance notamment à la bibliothèque départementale de prêt, aux cuisines centrales, aux ateliers municipaux et au village d'enfants Louise-Michel.

Saint-Médard-en-Jalles au fil du temps. Ville de Saint-Médard-en-Jalles, 1999, 180 pages.Le bourg, par Simon Lauba, p. 117 à 137