Le commerce et les foires 

 

Du bourg, on peut traverser la jalle au Pas Jallès, au gué de Gajac, à la Pénide et au gué de Caupian, c’est un nœud de communication très important. Partout, de tous ces chemins arrivent producteurs et acheteurs. Ils se rencontrent aux foires qui se tiennent chaque année les 5 mai, le 9 juin, le 20 août et en novembre à l'ombre des grands chênes de M. Delmestre depuis déjà fort longtemps.

Un document rédigé par la municipalité le 25 frimaire an III, qui donne ces renseignements, énumère comme suit les produits vendus à ces foires : « bœufs, vaches, chevaux, juments, porcs, truies, ânes, ânesses, mulets, mules qui viennent des landes et des communes voisins. »

Ce même document indique qu'un marché se tenait au bourg chaque dimanche. Ce ne pouvait être que sur l'eyre (aire) située devant les maisons de Beau, de la Bélarde et Peychaud (Darriet, veuve Baquey, Castaing Pierre actuellement), puisque le cimetière occupait la totalité de la place de l'église de nos jours. Les fermières de Saint-Aubin et des villages y apportaient leurs produits comme elles l'ont fait hebdomadairement jusqu'en 1914. À cette époque, les communications étaient devenues plus faciles et les marchands avaient pris l'habitude de visiter à jours fixes les villages et les écarts pour vendre plus facilement leurs marchandises. En contre échange, ils achetaient les produits des fermes sans que les producteurs eussent besoin de se déranger. C'est pour cette raison que ceux-ci ont périclité puis finalement disparu.

Les deux maîtres en chirurgie Lasserre et Abeillé, le notaire Thévenard dont les ascendants établis à Saint-Médard depuis près d'un siècle avaient fait alliance avec la famille Jaubert, qui comptait parmi ses membres des chirurgiens et des juges, le lieutenant de juge Hounneau, Dumas le maître d'école, peut-être les dirigeants du moulin à poudre, constituaient les éléments d'une société bourgeoise comme on en trouvait alors dans les centres même peu importants.

Dans le domaine économique on peut faire aussi quelques remarques intéressantes. Dès 1761 et peut-être même plus tôt, il y avait un boucher à Saint-Médard. On connaît les noms de deux boulangers ayant exercé la profession dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Tous deux possédaient des immeubles dans le bourg, preuve incontestable qu'ils jouissaient d'une certaine aisance. Deux marchands, Maizonnobe et Louis Eyquem, venaient de reconstruire leurs maisons en les embellissant tellement qu'on est forcé d'admirer leur bon goût et de reconnaître leur richesse. Il y avait aussi trois charpentiers de haute futée dans la paroisse et trois tisserands. De ces quelques faits, malheureusement peu nombreux, mais les seuls connus, on peut conclure que Saint-Médard avait profité de la grande prospérité dont jouit Bordeaux vers la fin du XVIIIe siècle, surtout après la guerre d'Amérique terminée en 1783 par le traité de Versailles. Les documents connus ne donnent pas de renseignements sur l'aspect des foires et marchés de Saint-Médard.

Aussi le lecteur sera-t-il peut-être intéressé à la description des foires de La Brède, faite par une allemande Mme De La Roche, au cours de son séjour à Bordeaux en 1785. Très certainement nos foires devaient ressembler à celle de la patrie de Montesquieu. « Nous traversâmes la foire, pleine de marchands et d'acheteurs. Nous pûmes ainsi connaître les besoins des paysans de la région. Il y avait toutes sortes de mouchoirs de couleur provenant des fabriques du Béarn, patrie d'Henri IV. Les femmes s'en servent pour recouvrir leurs coiffes sur laquelle elles les fixent à l'aide d'épingles et qu'elles achetaient pour quelques sous. Elles achetaient aussi des aiguilles, car elles sont aussi laborieuses que les femmes de la Catalogne. Toutes celles qui s'en vont portant sur la tête un fardeau, tricotent, de même que filent toutes celles qu'on voit assises sur leurs ânes au milieu des corbeilles de légumes ou celles occupées dans les champs à garder les chèvres, les oies et les vaches...

On voyait aussi de grands étalages de toile rouge. Les paysans de la région aiment beaucoup cette couleur et, comme je l'ai dit, elle s'accorde parfaitement avec la bordure noire des manches et des jupes ainsi qu'avec les mailles noires que forment les lacets des corsets. Ailleurs, un ménage de marchands ne vendait que des escarpins de draps de touts grandeurs et de couleurs variées. Beaucoup de jeunes paysannes portaient des jupes noires avec des corsages rouges...

On vendait également beaucoup de bas de laine de toutes sortes. Des corbeilles pleines de craquelins, de pain d'épices et de massepains circulaient dans la foule et aux alentours du théâtre, les arbres étaient tout enrubannés. Les jeunes parlaient gaiement entre eux, mais avait une fort bonne tenue ; la plupart étaient très bien bâtis. Les vieux se lamentaient sur la persistance de la sécheresse, disant qu'il n'y aurait bientôt plus ni foin ni paille, ni son pour nourrir leurs vaches leurs chevaux, leurs moutons...

Tous les gens parlent un double langage, moitié français, moitié Gascon. Celui-ci est extrêmement agréable à l'oreille. Tous aussi ont dans leurs façons et dans leur manière d'être quelque chose qui plaît. À l'auberge, nous déjeunâmes dans une pièce à côté de laquelle il s'en trouvait une autre avec trois tables pleines de paysans en train de manger du poisson grillé, de la salade et des gâteaux. Leur conversation, quoique très animée, restait amicale. Le vin les rendait joyeux mais nullement bruyants, ni mal élevés. Ils se disaient « Monsieur » aussi poliment que quand ils s'adressaient à M. Erhard » (compagnon de voyage de Mme De la Roche). (Revue historique 1911 p. 168).

Un charentais qui visite Bordeaux en 1775, entre autres détails intéressants, écrit : « dans le pays d'où je viens on transvase trois ou quatre fois la première année le vin d'une barrique à l'autre, on dit que la lie le fait gâter. Pour ce faire, ils ont un boyau garni aux deux bouts de deux bouts de canettes qu'on fait entrer au bas de la barrique vide, l'autre pareillement dans la pleine. La bonde étant ôtée la liqueur se met de niveau dans les deux barriques et à l'aide d'un soufflet on force le vin à passer tout dans celle qui était vide. Tous ces ustensiles coûtent deux Louis environ. » (Revue historique 1912).

Ces renseignements permettent d'avoir une idée des soins donnés aux vins en cette fin de l'ancien régime. Ils sont à rapprocher de l'anecdote racontée par notre arrière-grand-père sur le tonnelier dégustateur réputé Andrant. Ce raffinement met en lumière les effets que la prospérité de la ville avait produits dans l'existence des habitants.

Notes du docteur Arnaud Alcide Castaing sur la paroisse de Saint-Médard-en-Jalles sous l’Ancien Régime et sur la commune de la Révolution au XXe siècle, dossier familial, 1946, 270 pages, p.25-28.