Pansements et médicaments en 1777 

 

Parmi les pièces d’une procédure figure le « mémoire des pansemens et des médicamens » fournis au Blayé ainsi qu'à sa famille. L'analyse de cette note détaillée va nous fournir des renseignements intéressants sur la thérapeutique du confrère Rallion. Une partie de cette note se comporte 54 visites au cours desquelles 17 saignées ont été pratiquées, 14 lavements administrés, 12 purges et 10 potions données ! Donc, Rallion n'employait que 4 médications sur l'usage desquels on va revenir plus en détail.

La saignée : le lieu l'élection était le pli du coude de l'un ou l'autre membre indifféremment. On saignait aussi au pied un peu en avant de la malléole interne. Est-ce parce que cette dernière saignée était plus difficile que celle du pli du coude ou pour toute autre raison, toujours est-il qu'elle coûtait 16 sous alors que la première était tarifée seulement 10 sous. Jusqu'en 1756, Rallion pratiquait la saignée dès la première visite, souvent elle est réitérée et la seconde faite fréquemment le lendemain.

Une seule malade a été saignée trois fois en trois jours, c'est la Blayèze, ce qui ne lui a pas évité une purge et un lavement les jours suivants. La première de ces saignées avait été faite au pied. À partir de 1756, il n'est plus fait mention de saignées, en revanche l'emploi des potions devient plus fréquent.

La mode avait-elle changé à ce moment ? Si les enfants échappaient à la saignée, en revanche les adultes étaient saignés systématiquement. Voici par exemple le frère Blayé à qui il est fait deux visites et deux saignées (dont une au pied) en trois jours et cela à deux reprises différentes. Le Blayé, qui est visité cinq fois en 8 jours, se voit saigner deux fois ; au cours d'une autre maladie qui a nécessité trois visites en 3 jours, il a été saigné au cours de la première visite puis purgé, etc. Le neveu du Blayé est saigné le premier jour et purgé le lendemain ; sa mère, visitée 3 fois, est saignée, purgée puis reçoit un lavement.

Il faut tenir compte que si Rallion a saigné trois fois une seule malade, d'habitude il pratiquait au maximum deux saignées au cours d'une maladie. Ce chirurgien ne tombait donc pas dans les excès de certains de ses contemporains tel Bordeu, médecin réputé de cette époque exerçant à Montpellier, qui saignait 11 fois au bras et 5 fois au pied une jeune fille atteinte d'un abcès à la fesse ! On voit bien que la Gironde est le pays du juste milieu !

Tout ce qui précède s'applique à la saignée faite en cours de maladie mais on signait parfois préventivement. À deux reprises différentes, le 5 juin 1753 puis le 9 mai 1754, le Blayé est saigné une fois et l'année suivante deux fois en une visite (ce qui lui coûte une livre), le premier mars 1756 encore une saignée ordinaire.

Quelle pouvait bien être la cause de ces saignées qu'aucune visite ne suivait, ce qui exclut toute idée de maladie ? On peut penser, sans grande chance de se tromper, qu'il s'agit de saignées préventives. Ledit Blayé devait être d'un tempérament sanguin aussi son chirurgien lui appliquait un traitement déplétif énergique : on dirait aujourd'hui qu'il cherchait à abaisser sa tension artérielle.

Lorsque ce résultat n'était pas atteint ou ne l'était que partiellement, la médication devenait plus énergique : en cinq visites, le Blayé était saigné deux fois puis purgé et enfin recevait un lavement, cela à deux reprises en septembre 1755 et en septembre 1756. Assurément, la tension ne pouvait que baisser après un traitement aussi énergique. Dans le premier quart du XXe siècle, Bérard Petibon habitait une maison construite sur l'emplacement de celle de Renouil. C'était un tel homme grand, robuste (on l'appelait lou Tavure, le Taureau) qui se faisait saigner chaque année à la pousse afin, disait-il, d’éviter que le sang ne le fatiguât et ne se plaçât mal (en bon français afin d'empêcher une congestion cérébrale de se produire). Curieuse survivance d'une ancienne habitude médicale dans la même maison 150 ans plus tard. À noter qu'il n'est pas fait mention des sangsues dont la vogue était si grande milieu du XIXe siècle.

Les lavements : les clients de Rallion étaient presque autant soumis au lavement qu'à la saignée. Bien qu'on n'ait aucun renseignement il y a tout lieu de penser que la mauve et le bouillon blanc en constituaient les principaux éléments tout comme de nos jours. Les chirurgiens administraient les lavements eux-mêmes aussi avaient-ils acquis à la longue une dextérité extraordinaire dont font foi les mémoires du temps. Ils se servaient d'une grosse seringue en étain. Le piston de bois se composait d'une tige cylindrique munie d'une poignée et d'un corps constitué par deux rondelles d'étain clouées et la tige entre lesquelles on enroulait de la filasse. Les joints étaient aussi constitués par de la filasse. Comme ces instruments ne connaissaient guère d'inactivité la filasse n'avait pas le temps de sécher. Le lavement était tarifé une livre.

La purge : à peine moins employée que le lavement mais on ne possède pas de renseignements à son sujet sinon qu'elle coûtait deux livres, visite comprise.

La potion : de 1752 à 1754, il n'a pas été prescrit de potion bien que cinq malades aient été soignés. Tous ont été saignés, purgés ou soumis au clysterium donare. Une « potion cordiale » fut donnée pour la première fois en 1754 à la Blayèze au cours d'une maladie de quatre jours où elle fut saignée, purgée puis reçut un lavement. Cette même « potion cordiale » fut donnée à deux reprises au Blayé qui plus tard absorba une « potion huileuse ». On trouve aussi mention d'une « bouteille fébrifuge » donnée à la Blayèze, peut-être s'agissait-il d'une potion à base de quinquina connu depuis Louis XIV ? Deux jours plus tard, la même malade absorbait « un apozème arcolique », potion faite avec une décoction de végétaux et contenant en outre de l'alcool. Toutes les potions précédentes coûtaient deux livres, la dernière une livre seulement.

À partir de 1754, la saignée disparaît faisant place à la potion mais la purge ainsi que le lavement conservent la même importance dans le traitement des malades. À quelques additions près, les personnages d'importance subissaient un traitement identique. En voici la preuve : le frère de Claude Perrault, auteur de la colonnade du Louvre, fut soigné comme suit à Bordeaux en 1669 : saignées répétées, sangsues derrière les oreilles, ventouses et scarifications sur les reins. Plusieurs pigeons ouverts furent appliqués sur la tête et un autre sur la région précordiale. De plus, le malade prit du vin émétique, des tisanes laxatives et des lavements. L'auteur de l'article ajoute « le malade résista un mois. » (Revue historique).

Faute de précisions il est impossible de donner un nom aux maladies des clients de Rallion que celui-ci visite 2 ou 3 fois, au maximum cinq fois. À une seule malade, il fut fait neuf visites en 13 jours, ce qui peut faire penser à une pneumonie dont la période fébrile dure environ une huitaine de jours. Pendant cette maladie, la fille du Blayé absorba « trois potions cordiales », 4 lavements et trois purgations.

La thérapeutique de Rallion visait à soutenir l'état général et désinfecter le tube digestif : jusqu'à l'apparition des sulfamides, nous ne faisions pas autrement. Enfin, pour clôturer la liste dans la nuit du 1er septembre 1767, on alla chercher Rallion pour la Blayeze, il ordonna une potion dont la composition n'est pas indiquée mais seulement le prix : deux livres. Trois lavements furent administrés dans la même journée (trois livres) et comme ils ne produisirent aucun effet la malade prit une purge (deux livres) et, le lendemain, Rallion réitéra un lavement (1 livre). Là, finit la note d'honoraires. L'intervention chirurgicale qui est le seul traitement donnant habituellement de bons résultats dans cette maladie n'était pas pratiquée alors.

Il semble donc que la malade aurait dû succomber à bref délai. Il n'en est rien car on ne trouve pas mention de son décès dans le registre des inhumations au cours du mois de septembre 1767. Peut-être s'agissait-il seulement d'obstruction intestinale dont l'énergique traitement a eu raison ? On peut alors se poser la question suivante : comment se fait-il que les soins aient cessé brusquement après trois jours de maladie et seulement quelques visites et que Rallion n'ait plus été appelé auprès du Blayé ainsi que de sa famille ? Le non-paiement des honoraires de Rallion, le défaut de Renouil à l'audience, son inexécution de la sentence rendue contre lui semblent attester de sa part un parti pris bien arrêté à l'égard du chirurgien, peut-être de la haine de la part d'un individu sanguin, au tempérament violent qui l'ont amené à changer de médecin au cours de la maladie pour une raison qu'on ne connaît pas, souvent futile. Il m'en arriva autant, voici peu de temps, de la part de mon résinier que j'avais pourtant tiré des prisons allemandes.

Un médecin anglais a écrit que la reconnaissance suivait une marche parallèle à celle de la fièvre, qu'elle était maximum lorsque la fièvre était au plus haut puis qu'elles descendaient toutes les deux simultanément. Et enfin qu'elle disparaissait souvent avec la maladie. J'ai souvent constaté qu'il en était ainsi dans la partie moyenne et élevée de la clientèle, au contraire dans la partie inférieure la reconnaissance persiste plus longtemps. Tous les clients débiteurs n'étaient pas aussi résistants que Renouil. En voici un exemple. Pierre Mineur, de Gajac, devait 44 livres à « feu M. Jaubert, maître en chirurgie, pour pansements et médicaments faits et employés à feu Jean Mineur, Jeanne Marchant et toute leur famille ». Estimant sans doute que la disparition du créancier entraînait l'extinction de sa dette, Mineur ne la payait pas. Sur le conseil de son gendre, le notaire Thévenard, maître Aubert fit opposition entre les mains du marchand Médard Feydieu sur les sommes que devait Mineur. Celui-ci se voyant pris s'exécuta l'année suivante ainsi que le prouve un reçu délivré par Thévenard, le 7 octobre 1734. Le même Mineur s'adressa alors au maître chirurgien Marceron. Les honoraires de ce dernier s'élevèrent à 65 livres « pour pansements et médicaments aux père et mère de Mineur. » Celui-ci régla cette dette sans se faire tirer l'oreille comme en fait foi le reçu de « Marceroun metre chirurgien, rézidant dans la paroisse de Saint-Médard » (Marceroun, prononciation patoise de Marceron). Le paiement ayant été fait le 2 janvier 1734, il en résulte que le deuxième médecin fut payé longtemps avant le premier.

La leçon avait porté ses fruits : le mauvais payeur, par le fait d'une sanction bien appliquée était devenu un payeur exact. Il en va de même encore aujourd'hui. Purge, lavement, saignée voilà les traitements, que Rallion tout comme les autres médecins de cette époque, employaient dans n'importe quelle maladie, quelques fussent leur nature, leur siège, leur intensité. Molière avait raillé cette thérapeutique systématique et passepartout, la seule employée par les médecins de Louis XIV.

Mais la mode n'en subsistait pas moins au milieu du XVIIIe siècle. Il faut bien reconnaître que la science médicale de nos devanciers était peu étendue car ils connaissaient seulement l'inspection et la palpation, mieux utilisées par eux que par nous d'ailleurs, et dont ils tiraient de remarquables renseignements : c'étaient des observateurs de toute première valeur ainsi qu'on peut s'en rendre compte par les procès-verbaux d'examen des corps de personnes noyées dans la Jalle ou d'un homme qui s'est tiré un coup de fusil dans la tête dressés par Lasserre et contenus dans les registres des décès de 1800 à 1803. En revanche, la percussion ainsi que l'auscultation leurs étaient inconnues et par suite l'important chapitre des maladies du cœur et du poumon.

Quant aux « virus » qui causaient certaines maladies, on ignorait le moyen de les détruire avec certitude avant les découvertes de Pasteur. Il n'est pas surprenant que la thérapeutique fût à cette époque très simplifiée puisqu'elle n'avait à faire face seulement à des indications fort restreintes. Bénéficiant des grandes découvertes du XIXe siècle surtout, lorsque que nous comparons la richesse de notre arsenal actuel avec la thérapeutique de nos ancêtres aux ressources si restreintes nous regardons cette dernière avec mépris et pitié. Mais qui sait si dans l'avenir on n’aura pas de mépris pour cette manie des piqûres, actuellement en vogue, par lesquelles on introduit dans l'organisme des substances de toute espèce seules ou associées et si on ne les trouvera aussi ridicules que la saignée, le lavement, la purgation systématique de nos ancêtres !

L'homme est ainsi fait que pour dissimuler sa faiblesse il revêt ses actes de qualificatifs somptueux et trompeurs afin d'en dissimuler la vanité : Vanitas, vanitatum... Lorsqu'on veut porter un jugement sur nos anciens il ne faut le faire qu'avec une grande précaution. Sans aucun doute, nos connaissances sont plus étendues que les leurs, mais en revanche, ils savaient observer, juger et appliquaient en toutes circonstances cet esprit critique, ce bon sens qui les faisait agir lentement avec précaution dans ce monde peu connu d'eux. Toutes ces qualités de patience, de réflexion, ce sens critique, ont fait place à la science livresque, à la radio, journal, à l'information hâtive pas toujours bien contrôlée. Mais notre Montaigne a dit avec raison : mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine. Si la tête de nos contemporains est bien pleine, il n'est pas certain qu'elle soit mieux faite que celle de nos devanciers. À la thérapeutique passe-partout et pas compliquée des maitres en chirurgie s'ajoutaient les remèdes de bonnes femmes ainsi que les pratiques des sorciers. Malheureusement, aucun document n'est parvenu au sujet de ces traitements qui sont encore suivis dans notre siècle de lumière.

Notes du docteur Arnaud Alcide Castaing sur la paroisse de Saint-Médard-en-Jalles sous l’Ancien Régime et sur la commune de la Révolution au XXe siècle, dossier familial, 1946, 270 pages, p.256-258.