La culture de l’ananas  

Aussi étonnant que cela puisse paraître, on cultivait des ananas à Bordeaux depuis le XVIIIe siècle. Cette assertion n'est pas une boutade ! Les ananas faisaient bien partie des desserts sur LES grandes tables bordelaises. Connu d'abord sous forme confite puis frais, ce fruit originaire d'Amérique tropicale, fut cultivé en Espagne dès le XVIe siècle. Il n'apparut dans notre région qu'au moment du développement du commerce avec les Antilles. Louis XV, lui-même, « trouva ce fruit très bon ». En 1718, Labat de Savignac, conseiller au Parlement de Bordeaux, séduit par la saveur de ce fruit exotique fait ramener des Caraïbes plusieurs plans d'ananas (Archives départementales de la Gironde-8J48). Réservé à l'élite, cette culture restera cependant assez confidentielle, mais elle réapparut au début du XIXe siècle, époque où il fut possible de construire des serres en fer offrant une plus grande surface vitrée. Plus tard la découverte du Thermosiphon (chaudière produisant de la vapeur) permit une meilleure production.

Un document extrait des archives de la Société d'horticulture de la Gironde nous apprend que M. Cayrou réussit à faire prospérer dans sa propriété de Talence 28 pieds d'ananas de trois variétés différentes, « toutes de la plus belle végétation ». C'est en 1856 que les œilletons avaient été plantés en pleine terre à 50 centimètres d'intervalle. Une chaleur constante de 28° à 30° était maintenue par de puissants « réchauds » en fumier de cheval (sic) de 80 centimètres d'épaisseur fréquemment triturés et renouvelés tous les mois, sauf en juillet et en août. Huit à neuf charrettes de bon fumier en décomposition étaient nécessaire chaque année pour atteindre cette température ! Il fallait aussi renouveler régulièrement l'air des serres et des châssis. Bref ! Ce n'était qu'à ce prix qu'il était possible d'obtenir de beaux fruits arrivés seulement à maturité au bout de presque 34 mois…

En améliorant ses recherches, M. Cayrou pensait rendre la culture de l'ananas moins onéreuse afin de la populariser dans nos contrées. Les idées « d'industrialiser » sa production germait dans les esprits. Certains pensaient même que ce fruit deviendrait assez abondant en France pour qu'il puisse concurrencer les produits indigènes… Il en fut autrement.

Sur la rive droite de la Garonne, cette culture passionna également la famille Guestier. Sur leur domaine agricole de Bel-Sito à Floirac, une serre chaude lui était spécialement dédiée. 40 pieds d'ananas produisaient de beaux fruits « qui avaient un goût bien supérieur à ceux ramenées par les steamers dans le port de Bordeaux » (SHG 1879).

En 1879, le négociant Guestier reçut pour cette excellence une médaille d'argent par les sociétés agricoles. Le banquier Piganeau, propriétaire du château de Dulamon à Blanquefort en cultivait lui 62 pieds de l'espèce Ananas Martinique Comte de Paris.

L'arrivée régulière de bateaux rapportant ces fruits en grosse quantité et à vils prix, finit par décourager ceux qui avaient crus au succès et au développement de cette culture. « La différence était tellement considérable autant sous le rapport du goût que celui du parfum qu'on n'hésitait pas à préférer les ananas cultivés en serre ». Les terribles hivers de 1879 et 1880 (une température de -22 degrés fut relevée à l'observatoire de Bordeaux) anéantirent probablement ces plantations expérimentales qui ne furent plus jamais d'actualité.

Article paru dans le journal Sud-ouest du 5 avril 2011, par Cadish.