La forteresse et son seigneur 

forteresse2
forteresse3
forteresse1

Le seigneur de Blanquefort 

Le nom du seigneur de Blanquefort est celui qui revient le plus souvent dans l'histoire locale au Moyen-âge. Son pouvoir est immense. Il a le droit de haute justice sur tout le territoire qui s'étend depuis la paroisse d'Avensan jusqu'au bassin d'Arcachon. Ces paroisses comprenaient : la seigneurie d'Arès, Le Temple, la seigneurie d'Audenge, Saint-Médard-en-Jalles, Le Taillan, partie de Mérignac avec partie de la seigneurie de Veyrines, Avensan avec la seigneurie de Citran, Soussans, Margaux, Cantenac avec la seigneurie d'Issan et la maison noble d'Angludet, la seigneurie d'Arsac, Labarde avec la maison noble de Giscours, Parempuyre avec la seigneurie de la Mothe-Caupène et la maison noble de Vallier, Ludon avec la seigneurie d'Agassac et les maisons nobles du Vergier, de Peyre et de Lamothe, Macau et Ludon dehors avec la seigneurie de Cantemerle.

Cette dernière juridiction demande quelques explications. La cure de Macau était à la collation de l'abbé de Sainte-Croix, et celui-ci était curé primitif de la paroisse et seigneur haut-justicier du bourg et de la palu de Macau. Le reste de la paroisse, ainsi que Ludon, dépendait de la châtellenie de Blanquefort, avec les seigneurs de Cantemerle et d'Agassac. Plus tard, ces deux seigneurs acquirent le droit de haute justice sur leurs juridictions respectives, et celle de Cantemerle fut appelée « Macau et Ludon dehors », pour la différencier de celles de Macau et de Ludon proprement dites.

Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p.19.

La puissance des seigneurs de Blanquefort fut immense durant tout le Moyen-âge.

Leurs domaines couvraient une grande partie du Médoc et se prolongeaient jusqu'au Bassin d'Arcachon. Parmi les vassaux, on peut citer les seigneurs d'Arès, de Margaux, d'Audenge, de Giscours, d'Issan, de Macau, etc., et, parmi les paroisses soumises à la haute justice : Soussans, Avensan, Ludon, Le Pian, Cantenac, Arsac, Saint-Médard, Bruges, Eysines, Parempuyre.

Les habitants de la juridiction de Blanquefort, outre les bourgeois et gentilshommes, se divisaient en deux classes : les uns, possesseurs de petites terres allodiales
[Terres allodiales (du francique allod propriété complète) franches et libres de toute suzeraineté depuis un temps immémorial], se donnaient le titre d'hommes francs ou libres ; les autres étaient serfs questaux [sujets à la taille qui a pour but de faire contribuer les communautés villageoises aux charges de la seigneurie, en compensation de la protection accordée par le seigneur] et leurs conditions de travail étaient aussi épouvantables que celles de leurs frères de Lesparre…

Nous avons dit que le peuple de la juridiction était d'une condition misérable. Il semblait, d'ailleurs, accepter cet état de fait avec résignation, si l'on en juge par cette reconnaissance faite le 14 octobre 1349, par divers habitants de Blanquefort, déclarant : « qu'eux et leurs pères et prédécesseurs ont été, de tout temps, et que leurs héritiers et successeurs devront être questaux du vénérable chapitre de Bordeaux pour faire la quête et taille à sa volonté et, en outre, ont convenu expressément de faire dorénavant à perpétuité par chacun an, trois manœuvres avec bœufs, brogs (charrettes) et ceux qui n'ont point de bœufs ni de brogs, avec leur propre corps aux frais et dépens dudit chapitre. »

En 1365, le seigneur de Blanquefort revendiquait les habitants d'Issan comme étant « ses hommes questaux, taillables à la merci dudit seigneur ès biens et personnes ». Mais le chapitre de Saint-André décida, en l'occurrence, « que les habitants sont libres et francs, que les contrats de questalité seront cassés et annulés, qu'ils seront aussi quittes de 50 livres dont ils étaient taillés annuellement en payant tous les ans au seigneur, outre les droits d'agrière [partie de la récolte versée au seigneur], 10 tonneaux de vin portés à l'un des ports de La Bastide, Macau, La Barde, Margaux, plus une poule par chaque feu, deux manœuvres à bœufs, ceux qui en ont, sinon la personne pour ceux qui n'ont bœufs et nourri celui qui assistera, ensuite 5 sous bordelais d'export à muance du seigneur. »

La forteresse médiévale 

Le château de Blanquefort fut construit sur un emplacement occupé précédemment par des peuples plus anciens. Le lieu, pourtant peu élevé, fut choisi en raison de sa situation stratégique. La forteresse est bâtie au confluent de deux bras de la Jalle sur une légère élévation formée par un affleurement de calcaire grossier. Elle se composait du château, enveloppé de six fortes tours rondes, très rapprochées les unes des autres, et d'une enceinte polygonale se rapprochant de l'ovale et flanquée de neuf tours de saillie de dimensions différentes. Autour de cette enceinte, existait un premier fossé, large de dix mètres du côté sud et de vingt à vingt-cinq mètres au nord, entouré d'une large chaussée d'une dizaine de mètres ayant servi de terre-plein et prise aux dépens d'un second fossé. Ce terre-plein s'élargissait considérablement en formait ainsi une barbacane appuyée contre un fossé qui venait rejoindre le fossé d'enceinte, toujours plein d'eau par conséquent. Le fossé intérieur pouvait se remplir au moyen d’une écluse. Les tours intérieures, composées de deux étages, au-dessus du rez-de-chaussée, hautes de quatorze mètres et épaisses de trois, étaient réunies par une muraille qui servait de base à une terrasse sur laquelle se trouvaient les défenses principales autour d'une couronne de hourds. Des lices étaient situées entre le château central et le mur d'enceinte. Les tours et courtines de ce dernier sont d'époques différentes (13 et 14e). Dans certaines, se trouvaient des canons mobiles. Les meurtrières se composaient d'un trou rond pour la gueule des canons et d'une ouverture verticale pour diriger le tir et évacuer la fumée de l'explosion.

forteresse2 Une de ces tours a, face à la campagne, cinq mètres d'épaisseur. Dans un bastion, existe encore une chapelle entourée intérieurement d'arcades feintes ogivales. Les arcs de cette chapelle reposent sur des consoles que l'on a délicatement sculptées de chênes et de glands. La plus apparente représente une tête. À la disposition de la longue chevelure identique à la coiffure des Édouards, on peut reconnaître une figure du même temps. L'ensemble de la forteresse permettait une défense facile : une rivière au nord, une autre au sud, des marais de tous les côtés et deux vallums enveloppant deux fossés pleins d'eau. On ne pouvait attaquer le château ni par le sud (marais d'une demi-lieu de large), ni par l'ouest ou l'est. Au nord seulement, ce qui explique que les défenses soient plus nombreuses dans cette direction. Nous pouvons situer les modifications qui y furent faites en 1287 pour les tours centrales et à la fin du 14e siècle pour les tours extérieures.

Léo Drouyn a pu écrire que le château de Blanquefort était l'un des monuments les plus intéressants de France et l'une des places de guerre les plus importantes de la Guyenne. Sur ordre de Mazarin, l'on fit sauter les installations principales des tours centrales. Les seigneurs de Durfort résidèrent alors dans leur terre de Duras, mais firent construire, à proximité du château de Blanquefort, une maison appelée Curgan, dans laquelle ils vinrent passer quelques jours par an. Cette propriété existe toujours et conserve quelques monuments provenant du château et qui furent sauvés lors de la rapide évacuation de celui-ci.

À proximité, se trouvait le « cimetière des Anglais » ainsi appelé dans les parages, où furent ensevelis les morts de la célèbre bataille du 1er novembre 1450, « la Male Jornade ». Il y a peu de temps encore, des prières étaient dites à cet endroit, lors des processions, à la mémoire des combattants qui s'y illustrèrent. Des souterrains se trouvent sous le sol, malheureusement éboulés et pleins d'eau. Il est toutefois permis d'en visiter un départ dans les caves de Curgan. Un autre départ existe dans le château, mais il n'est pas possible de s'y aventurer au delà de quelques mètres.

Guy Dabadie, Histoire du Médoc, imprimerie Samie, Bordeaux, 1954, p.85-89. Photos fonds privé C.Bret