Domaine de Fongravey

Charles Taveau, écuyer et ancien officier de cavalerie né à Saint-Domingue le 14 septembre 1735, constitue en plusieurs acquisitions, à partir du 11 septembre 1781, une propriété sur laquelle il fait construire une maison dont on ne connait pas l’architecte.

Le 12 Août 1793 Daniel Christophe Meyer (1751-1818), futur consul du commerce de la ville de Hambourg, achète la propriété comme maison de campagne, résidence secondaire appelée aussi « folie », composée d’un terrain entouré d’un mur de pierres, d’une maison nouvellement construite, d’un chai, d’un cuvier, d’un logement du cultivateur, de jardin et de vignes. Le poète Hölderlin, précepteur des enfants Meyer vers 1802, aurait séjourné quelques temps à Fongravey. La propriété est dénommée « à Meyer » à cette époque-là.

À la mort de Daniel Christophe Meyer, le 7 avril 1818, c'est sa fille Anne-Mathilde, épouse de Pierre Alexandre Marrauld, qui hérite des biens, la propriété prend alors le nom de « Marrauld ».

Au décès de Anne-Mathilde Marrauld le 3 octobre 1872 c’est Elisabeth Marrauld, sa fille qui hérite du domaine, elle est l’épouse de l'architecte Henri Duphot. Il est vraisemblablement l'’auteur de la gravure représentant la « maison de campagne à Blanquefort », accompagnée des plans du rez-de-chaussée et du premier étage, l'ensemble étant publié par César Daly dans la Revue générale de l'architecture et des travaux publics. Commentant la gravure de la maison de campagne, César Daly la présente comme : « Un type charmant de l'architecture Louis XVI, bâtie vers 1780 par un artiste dont le nom n'est pas connu, mais qui, de toute apparence, appartenait à l'école de l'architecte Louis et qui était assurément un homme de beaucoup de goût ».

Le nom de Fongravey apparait vers 1874 dans les archives, cela laisse supposer que le domaine de Fongravey tire son nom d’une fontaine « fon » située en un lieu de graves « gravey ».

Charles de Bethmann, fils d'Alexandre de Bethman maire de Bordeaux de 1867 à 1870, rachète la propriété. Comme tous les châtelains blanquefortais, il s'intéressait au vin, et possédait sur le côté levant et midi de sa propriété un vignoble, complété par d'autres parcelles à l'extérieur, dont une pièce de vigne faisant aujourd'hui l'angle du chemin de la Gabarreyre et du chemin Pasteur ; il produisait un vin léger, mais très bouqueté.

Aux environs de 1905, il accepta difficilement de couper le bas de sa propriété pour permettre la création du chemin de la gare, aujourd'hui rue Jean Moulin. Ce fut un évènement local ; il permettait une ligne directe vers la gare, car on y accédait à l'origine par le chemin de la Landille avec un crochet sur la départementale pour rattraper le chemin de la gare ou bien on contournait Fongravey, côté nord, toujours indirect vers la gare.

Charles de Bethman décède le 10 mars 1912, laissant son fils aîné René, héritier. René de Bethman resta propriétaire une quinzaine d'années, il fut conseiller municipal de Blanquefort de 1919 à 1925, mais il n'était pas vraiment intéressé par la propriété, sa femme ne se plaisait pas à la campagne. Il vendit ses vignes extérieures à Abel Dugay, puis l'excédent du terrain détaché de la propriété par la route, à son vieux jardinier, attaché depuis longtemps au domaine, M. Coutoula, grand-père du propriétaire actuel.

En 1933, l'industriel Joseph Philippart, fils de Fernand Philippart maire de Bordeaux de 1919 à 1925, propriétaire de plusieurs huileries, rachète le domaine, conserve les bâtiments sans modification apparente et transforme la propriété viticole en propriété d'agrément : il arrache les vignes, aménage le domaine avec l'aide de l’architecte paysagiste Conte, fait nettoyer la garenne, compléte en arbres verts, en houx, fait planter des primevères, du muguet, une haie de cupressus au-devant du chemin de la gare, agrémente les alentours du château, on y plante un rideau de verdure, des sapinettes, des cèdres, des arbres d'ornement, etc. M. Philippart était très fier de sa propriété, beaucoup de fleurs venant de la serre et de ses châssis garnissaient les pièces du château. Il recevait beaucoup d'amis, avant, pendant et après la guerre.

En 1974, le domaine est vendu à une Société Civile Immobilière pour finalement être acheté par la ville de Blanquefort en 1976.

Les dépendances : chalet et écuries sont l’œuvre de Louis-Michel Garros et datent de la 2e moitié du 19e siècle.

Sources :
- archives municipales et départementales,
- « Blanquefort : rues et lieux-dits » et « Feuillets d'une mémoire » de Raymond Valet, édition du G.A.H. BLE,
- Equinoxes et Solstices, printemps 2006, n° 18, p. 28-29. Le magazine de la ville de Blanquefort. Avec l’autorisation de la ville de Blanquefort.

 

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La « Folie » de Fongravey 

Le château de Fongravey à Blanquefort est un bel exemple de ces lieux de villégiature, ou « folies », résidences secondaires d'aujourd'hui, très en vogue au XVIIIe siècle. Au centre de la commune, située sur un point élevé, la demeure domine un vaste parc planté de chênes.
De la maison partent des allées qui mènent en différents lieux du domaine : aux écuries à l'entrée ouest (les écuries ont été construites à l'extrême fin du XIXème siècle ou au tout début du XXe siècle par l'architecte Garros pour René de Bethmann), à une dépendance proche de l'habitation vers le sud (ancienne maison de paysan qui porte la date de 1865 avec au-dessus, les initiales C.D. gravées sur la tête du mur est en surplomb.)

Le relevé cadastral de 1806 appelle « à Meyer » cette propriété, tandis que le cadastre de 1843 indique le nom de « Marrauld ». Meyer est le nom du consul de la ville de Hambourg : Daniel Christophe Meyer qui fit construire vers 1795-1796, par l'architecte Combes, un imposant hôtel avec portique sur les allées de Tourny. À la mort de Daniel Christophe Meyer, le 7 avril 1818, sa fille Anne Mathilde, épouse de Pierre Alexandre Marrauld, hérite de ses biens.

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Vers 1872, le domaine de Fongravey appartient à l'architecte Henri Duphot, qui est vraisemblablement l'auteur de la gravure représentant la « maison de campagne à Blanquefort », accompagnée des plans du rez-de-chaussée et du premier étage, l'ensemble étant publié par César Daly dans la Revue générale de l'architecture et des travaux publics. Commentant la gravure de la maison de campagne, César Daly la présente comme : « Un type charmant de l'architecture Louis XVI, bâtie vers 1780 par un artiste dont le nom n'est pas connu, mais qui, de toute apparence, appartenait à l'école de l'architecte Louis et qui était assurément un homme de beaucoup de goût ». (César Daly, Revue générale de l'architecture et des travaux publics, Paris, éd. Ducher, volume XXXVII de la collection générale, p. 60 et planches 14 et 15.) La gravure présente certainement l'état orignal de la demeure : corps de bâtiment rectangulaire à deux niveaux d'élévation sur un soubassement éclairé par des soupiraux ; mur lisse pour la travée centrale en léger ressaut, parement à bossage continu pour les travées latérales. « La façade est heureusement composée » selon l'expression de César Daly.

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L'intérêt décoratif majeur réside dans la disposition, au deuxième niveau de l'élévation, d'oculi entourés de guirlandes de fleurs et de fruits unis par des rubans. La balustrade, au-dessus d'une forte corniche, masque le toit ; elle accentue le type italien qu'Édouard Guillon évoque dans « Les châteaux de la Gironde », (Bordeaux, Codere, Dégreteau et Poujol, 1867, p. 37) quand il mentionne brièvement cette construction. La Revue générale de l'architecture donne aussi les plans par niveau, montrant l'agencement des pièces. L'escalier, dont la cage, étroite, est ménagée dans le volume des pièces du sud-ouest, n'a d'autre rôle que celui lié à sa fonction utilitaire. Ce rôle sans apparat s'explique par le fait que l'étage noble, étage de réception, est au rez-de-chaussée et qu'ainsi l'escalier ne mène qu'aux chambres, cabinet de toilette et débarras du premier étage, ainsi qu'aux cuisines du sous-sol. Le vestibule distribue les différentes pièces du rez-de-chaussée ; la vaste salle à manger s'ouvre dans l'axe de l'entrée principale ; les salons et les chambres sont placés de part et d'autre du vestibule et de la salle à manger. L'étage est réservé aux chambres de maîtres et, par des pièces de petites dimensions, à la domesticité. L'éclairement de ces petites pièces par des oculi n'est d'ailleurs pas fortuit, la Revue générale de l'architecture fait remarquer que « les différences que présentent entre elles les baies du premier étage sont motivées par les dispositions mêmes de cet étage ». En effet, le salon et la chambre à coucher qui se trouvent, au rez-de-chaussée, de part et d'autre du vestibule, sont plus hautes de plafond que toutes les autres pièces de ce rez-de-chaussée ; de là, résulte une moindre hauteur pour les pièces du premier étage situées au-dessus du salon et de la chambre à coucher ; ces pièces, qui servent au logement des domestiques, sont celles qu'éclairent les œils-de-bœuf de la façade. Cependant, cette expression en élévation de la disposition intérieure n'est pas systématique ; ainsi, parmi ces oculi du premier étage, ceux du centre sont aveugles, de même que, sur la façade postérieure, certaines baies du rez-de-chaussée.

Une carte postale ancienne présente un état intermédiaire de la demeure, entre l'époque de la gravure du XIXe siècle et 1959, date à laquelle on a remanié l'extérieur et procédé à des aménagements intérieurs. Ce document montre le remplacement, probablement après 1880, des oculi de la façade antérieure par deux fenêtres de chaque côté de la travée centrale, de même largeur mais moins hautes que celles du rez-de-chaussée. Le décor ancien est rappelé ici par des guirlandes sous l'appui des fenêtres. La balustrade a disparu. Le remaniement extérieur et les aménagements intérieurs de 1959 ont été effectués pour le compte de Joseph Philippart, propriétaire, par l'architecte Conte. Joseph Philippart voulait redonner à la façade son aspect d'origine, avec la balustrade et les oculi. Les guirlandes détruites dans ce but ne seront pas remplacées lorsque le projet de restituer les oculi sera abandonné. Cependant, lors de ces travaux, la façade est ravalée, les balustres du balcon remplacés et surtout la balustrade est restituée. Trente-neuf balustres ont été taillés dans de la pierre de Nersac, tandis que la main courante, d'une longueur de 21,50 m, est en pierre de Frontenac. À l'intérieur, l'architecte Conte avait reconstruit la cheminée du côté du petit salon dès octobre 1940. En 1959, il dessine et construit la salle de bain, située dans le petit corps en rajout du nord-ouest, il y fait exécuter des boiseries en pitchpin, et réaménage à la même époque les cuisines au sous-sol.

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Le décor intérieur. L'architecte César Daly, rédacteur de la Revue générale de l'architecture, est également l'auteur d'un ouvrage intitulé : Motifs historiques d'architecture et de sculpture d'ornement. Décorations intérieures empruntées à des édifices français, du commencement de la Renaissance à la fin de Louis XVI, Paris, éd. Ducher, 1880, vol. Il, pl. 33 à 37), où Fongravey est à nouveau présent par cinq planches du volume Il qui représentent le décor du salon tel qu'on peut encore le trouver en place et en excellent état.

Par un acte passé devant maître Gendreau, notaire à Bordeaux, le 22 décembre 1933, Alexandre de Bethmann vend la demeure de Fongravey à Joseph Philippart, mais ne sont pas compris dans la vente, et au contraire formellement exceptés : « le décor du grand salon, c'est-à-dire les boiseries, le décor des murs, la corniche, la cheminée, le parquet, la rosace ; de même que la marque « Château Fongravey » et l'étampe s'y rapportant. M. de Bethmann aura un délai de trois années pour enlever les boiseries ».

En fait, M. de Bethmann finira par vendre le décor à M. Philippart en 1938. Ceci est indiqué dans une lettre de M. Philippart, datée du 3 mai 1938, contenue dans un acte passé devant maître Gendreau, daté de 1934. Ce décor est composé d'un lambris de hauteur couvrant entièrement les murs et couronné par une corniche. À la partie supérieure des murs et au-dessus des portes, des panneaux rectangulaires se juxtaposent en frise. Le salon s'ouvre largement sur les jardins par deux fenêtres percées dans le mur est et deux autres percées dans le mur sud. La cheminée occupe le centre du mur ouest ; au nord, deux portes à deux battants composés de panneaux nus s'ouvrent sur le vestibule et la salle à manger. Le parquet est composé de bois clairs et de bois foncés qui alternent pour dessiner une étoile au centre de la pièce et un ensemble de chevrons, irradiant depuis ce centre. Les baies s'inscrivent dans des arcs en anse de panier, soulignés par des chambranles moulurés ; la partie supérieure de la baie, ainsi que l'intrados de l'arc, sont occupés par une coquille, motif que l'on retrouve à Bordeaux par exemple à l'annexe de la préfecture rue Esprit-des-Lois. Sur le mur nord, au-dessus des portes à deux battants, une lyre occupe le centre du panneau, avec de part et d'autre, des rinceaux se mêlant à des guirlandes de fleurs. Au-dessous, entre deux petites consoles soutenant une tablette, un panneau contient des rameaux de laurier et de lierre. Le manteau et les piédroits de la cheminée sont en marbre ; la frise qui court au-devant du manteau est en plomb. Au-dessus de cette cheminée, un miroir rectangulaire est placé dans une baie en plein cintre, dont le tympan est orné d'un décor de guirlandes et d'oiseaux. Les piédroits de la cheminée sont en forme de colonnes antiques d'inspiration corinthienne, avec des cannelures rondes à listel, garnies en leur partie inférieure de rudentures ornées. Le conduit intérieur de la cheminée est latéral, le miroir étant sans tain. À cette cheminée du grand salon correspond de l'autre côté de la cloison une cheminée d'un style très différent. Rinceaux, rameaux de laurier, épis de blé, rameaux d'olivier, feuilles d'acanthe, vocabulaire employé par le décorateur de Fongravey, font également partie du répertoire utilisé par Barthélémy Cabirol pour la décoration du salon de l'hôtel de ville de Bordeaux. Les salons bordelais d'époque Louis XVI, bien que souvent transformés ou restaurés, présentent, pour certains d'entre eux, une abondance de décor (d'époque Louis XVI) dont est très éloigné le salon de Fongravey, qui est loin par exemple des panneaux richement sculptés ornant les pièces de l'annexe de la préfecture ou de l’hôtel Journu. Pas non plus de panneaux finement travaillés occupant toute la hauteur du mur, comme ceux du palais Rohan. Il n'en reste pas moins que le décor de Blanquefort doit pouvoir être daté des années 1780.

Si l'article publié dans la Revue générale de l'architecture affirme que l'architecte de la maison de campagne de Blanquefort « était assurément un homme de beaucoup de goût », le décorateur peut susciter un même enthousiasme ; à moins qu'architecte et décorateur ne fussent la même personne.

Réalités et hypothèses. La demeure actuelle est le résultat d'importantes transformations qui ont modifié le style et l'idée architecturale du départ, que la gravure nous restitue. Malgré les modifications et grâce à la gravure, on peut tout à fait inscrire cette demeure dans une problématique plus vaste : stylistique - son architecture posant, il nous semble, un problème de proportions - et typologique, puis, à partir de là et de quelques données historiques, risquer une hypothèse d'attribution.

On peut, tout d'abord, trouver dans la représentation de cette construction, et employés de façon magistrale, tous les caractères du néo-classicisme ; avec en premier lieu un jeu de contrastes : contrastes plein/vide soulignés par l'étroitesse et l'allongement de baies le plus souvent sans encadrement, jeu privilégiant le plein par rapport au vide (à tel point que ces percements parcimonieux ont entraîné les modifications ultérieures) ; contrastes aussi dans la texture du parement : refend/lisse ; contraste enfin par la forte saillie de la corniche qui est là encore un élément du vocabulaire néo-classique. Là, se pose le problème du décalage entre l'échelle de l'édifice et ce jeu des contrastes qui, s'il est adapté aux grands édifices publics (voir les dessins de Combes ou de Boullée), provoque, pour un petit programme, dans la réalité, des disproportions gênantes. Ainsi, à Fongravey, la construction dans sa réalisation révèle une entrée principale un peu trop étroite, entre des colonnes maigres qui soutiennent un balconnet dont les balustres sont minuscules. L'ouverture des oculi, jugée suffisante pour éclairer les pièces des domestiques, s'est révélée inadaptée, plus tard, pour des chambres devenues celles de commensaux. En dehors de ces questions de style et de proportion, le soubassement à demi souterrain avec les cuisines et la lingerie, le rez-de-chaussée ayant fonction d'étage noble, l'étage réservé aux chambres, présentent une disposition que l'on retrouve dans nombre de demeures de la campagne bordelaise à la fin du XVIIIe et au début du XIXsiècle. Les exemples majeurs en étant : la Louvière construite suivant les plans de François Lhote, construit de 1791 à 1799, et le château Margaux élevé d'après les plans de Louis Combes, construit de 1810 à 1816. La réputation prestigieuse échue à Victor Louis pour la construction du Grand-Théâtre de Bordeaux lui valut l'attribution de nombreuses demeures dans le Bordelais ; le château de Fongravey est, de ce fait, volontiers attribué aux plans de Louis. Sans être en mesure de fournir de preuves contraires, il nous semble possible de formuler une hypothèse différente : d'une part l'analyse de la demeure, surtout à partir de la gravure, le rapprochement avec d'autres constructions d'un type et d'un style comparables, qui elles sont datées, permettent de situer l'époque de l'édification du château de Fongravey à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle. D'autre part, Daniel Christophe Meyer est avec certitude le « Meyer » mentionné sur le cadastre ancien, propriétaire du domaine qu'il hypothèque en 1811 (A. D. Gironde, 3E31426, acte passé devant maître MaiIlères, notaire à Bordeaux, le 1er février 1811, concernant l'hypothèque des biens de D.C. Meyer, garantissant l'emprunt de 10 000 F fait à son gendre Alexandre Marrauld) ; il pourrait donc être également le commanditaire. Or, de même qu'André Acquard, qui lui aussi était propriétaire à Blanquefort, Meyer a fait appel à Louis Combes pour son hôtel bordelais. En l'absence de documents permettant une attribution sûre, l'hypothèse du projet de la demeure de Fongravey par l'architecte Louis Combes pourrait donc être envisagée.

La « Folie » de Blanquefort : Fongravey, étude extraite d'un mémoire de maîtrise soutenu à l'Université de Bordeaux III, par Bertrand Charneau, Société Archéologique de Bordeaux, tome LXXVI, 1985.

Description 

Situation et composition : au centre de la commune, située sur un point élevé, la demeure domine un vaste parc planté de chênes. De la maison, partent des allées qui mènent en différents lieux du domaine : aux écuries à l’entrée ouest, à une dépendance plus proche au sud (ancienne habitation du jardinier ?)

La demeure :

A- Parti général : « la maison du maître » se présente comme un corps de logis rectangulaire, flanqué au nord d'un petit corps de bâtiment bas sur le même alignement.

B- Elévations extérieures : l'élévation de la façade antérieure à l’est, comporte deux niveaux de baies, celle de la façade postérieure en comprend trois ; l'édifice est construit sur une dénivellation.

Façade antérieure : la travée centrale est en légère saillie par rapport aux quatre travées latérales disposées symétriquement de part et d'autre. Le mur des travées latérales est strié par un bossage continu en table, peu profond, ce qui met en valeur la travée centrale, dont le mur est lisse. Les angles du bâtiment principal sont lisses, tandis que le petit corps latéral présente des chaînes à refends. Un escalier masqué par un petit perron donne accès à une porte fenêtre encadrée de deux colonnes qui soutiennent un balcon à balustres. Une large porte-fenêtre inscrite entre deux pilastres lisses s’ouvre sur ce balcon. Au-dessus de la corniche saillante, une balustrade couronne cette façade.

Façade postérieure : cette façade montre six travées de baies dont les dimensions varient selon les niveaux. La disposition des baies ne trahit pas l'organisation intérieure, car certaines fenêtres sont aveugles. Cette façade est beaucoup plus modeste que la façade antérieure, les baies sont percées dans un mur lisse, sans moulure pour les encadrer ou les souligner.

Façade latérale nord : pas de décor sur cette façade qui comporte des baies aveugles.

Comble et couverture : l’étage de comble est éclairé par des lucarnes sur un toit à pente douce à deux versants couverts de tuiles.

Distribution intérieure : le plan original avait déjà été modifié en quelques points par l'architecte H. Duphot, propriétaire de la demeure dans les années 1880. En fait, la comparaison avec le plan actuel montre peu de changement dans la distribution des pièces et l’aménagement intérieur.

Le sous-sol : accessible de l’extérieur par deux portes fenêtres sur la façade postérieure, le sous-sol est le lieu des cuisines, buanderie et cave.

Le rez-de-chaussée : à proprement parler « rez-de-chaussée surélevé », il se présente comme l'étage noble. Cela est particulièrement remarquable sur la gravure montrant l'état d'origine. Les pièces sont éclairées sur la façade antérieure par des fenêtres étroites mais hautes. Le perron donne accès au vestibule qui, dans le même axe, conduit à la salle à manger. Les autres pièces sont à peu près disposées symétriquement de part et d'autre de ces pièces centrales. Le salon, où se situe un très intéressant décor sculpté, est noté sur le plan ancien. Une porte à gauche de la cheminée mène au petit salon. La large cheminée de marbre, qui chauffait le grand salon, est surmontée d'une glace sans tain, permettant de voir de l'une à l'autre pièce. Du côté nord, l'agencement est plus complexe à cause de la présence de l'escalier, qui diminue l'espace réservé aux chambres à coucher, séparées par un cabinet de toilette. Le petit corps de bâtiment, sur le côté nord abrite un cabinet de toilette ; bien qu'ayant été à cet usage depuis fort longtemps, il a subi beaucoup de modifications.

Gd-salon

Le premier étage : la disposition des pièces de cet étage est comparable à celle du rez-de-chaussée. Le vestibule commande les chambres à coucher qui occupent en fait tout cet étage. Des fenêtres relativement petites donnent la lumière à ces chambres, exceptée la chambre des maîtres qui s'ouvre sur le parc par une large baie agrémentée d’un balcon.

Dépendances et communs : près de la demeure, au sud, un bâtiment, comportant un étage auquel on accède par un escalier extérieur en bois, parait avoir été l’habitation du jardinier ou du gardien du domaine. Les écuries forment un ensemble important de bâtiments situés près d'une entrée du domaine à l'ouest ; les écuries réaffectées en habitation pour le gardien et en bureaux pour les services municipaux.

Décor intérieur : en 1933, René de Betmann vend la demeure de Fongravey à M. Joseph Philippart ; mais certains éléments de cette maison ne sont pas cédés, puisque cinq ans plus tard le notaire Gendreau établit un acte de vente spécifiant que, le sept juillet 1938, M. Philippart achète à M. de Bethmann : « les boiseries et décor des murs, la cheminée et la rosace du grand salon… ». Les raisons de ce report ne nous sont pas connues, mais peut-être y a-t-il eu des problèmes d'estimation, pour cet ensemble décoratif beau et précieux. L'architecte César Daly, auteur de la « Revue générale de l'architecture », a publié également un ouvrage appelé « Motifs historiques » ; la valeur esthétique du salon de Fongravey a paru assez importante à C. Daly pour qu’il publie les planches représentant ce salon, dans son ouvrage. La façade antérieure de la demeure avait paru dans la « Revue générale » ; le commentaire indiquait que la maison de campagne appartenait à Henri Duphot, architecte ; cet architecte, étant certainement l'auteur du dessin de la façade, doit aussi être celui des dessins du salon. Le décor est présenté ici par ces gravures de la fin du XIXe siècle, parce que les planches ont par elles-mêmes, une valeur graphique ; cependant, le décor de ce salon est encore à l'heure actuelle conservé intact et entretenu avec soin.

La planche n°2 montre une vue en perspective vers le mur est, percé sur la façade antérieure par des baies donnant sur la terrasse d'entrée. À l'intérieur, ces baies s'inscrivent dans des arcs en anse de panier, soulignés par des chambranles moulurés.

La partie supérieure de la baie, ainsi que l'intrados de l'arc, sont occupés par une coquille.  Outre ce motif de coquille, cette planche présente la gamme des motifs végétaux utilisés dans les tables et panneaux décoratifs, qui ornent cette pièce.

Rinceaux, rameaux de laurier, épis de blé, rameaux d'olivier, feuilles de chênes, oiseaux, coupe de fruits ou de fleurs, feuilles d'acanthes, lyre, forment le répertoire utilisé par Cabirol pour la décoration du grand salon de l'hôtel de ville de Bordeaux. C'est ce même vocabulaire qu’a employé le décorateur de Fongravey. Avant d'aborder le détail du décor mural, le parquet visible sur la planche l, mérite d'être remarqué. Un bois foncé alterne avec un bois clair pour dessine une étoile au centre de la pièce et un ensemble de chevrons irradiants depuis ce centre vers les murs. La planche 3 donne le détail des motifs ornementaux du mur nord du salon. Une lyre occupe le centre du panneau, au-dessus de la porte à deux battants ; de part et d’autre, les rinceaux se mêlent à des guirlandes de fleurs. Au-dessous, entre deux petites consoles soutenant une tablette, un panneau contient des rameaux de laurier et de lierre. L'association de ces rameaux de végétaux différents n'est pas fréquente dans les exemples rares des décors intérieurs bordelais. Lorsque le motif des rameaux croisés est isolé ou souligne un ensemble décoratif, comme un trophée ; le plus généralement ces rameaux sont du même végétal.

À Fongravey, les tresses verticales mêlent olivier et lierre. Le lierre par le fait même de sa nature de plante grimpante a, semble-t-il, été surtout employé pour les tresses ou les frises.

La planche 4 met en évidence la finesse de certains détails du décor, notamment les entrelacs de fleurs et de tiges qui forment la frise de la cheminée

La cheminée fait l'objet d'une planche particulière. Manteau et piédroits sont en marbre, la frise qui court au-devant du manteau est en plomb. Au-dessus de cette cheminée, un miroir est placé dans une baie inscrite dans un arc en plein cintre ; la partie supérieure du miroir est cependant masquée par un décor de boiserie.

Le détail de l’ornementation de 1'ébrasement de la baie, composé de feuilles d'acanthe et de rameaux d'olivier, figure sur la planche 3. Les piédroits sont en forme de colonnes antiques d'inspiration corinthienne, avec des cannelures rondes à listel, garnies en leur partie inférieure, de rudentures ornées. Les chapiteaux comportent les deux rangées de feuilles d'acanthe des chapiteaux corinthiens. Le conduit intérieur de la cheminée est latéral parce qu’en fait le miroir est sans tain. À cette cheminée du grand salon correspond, de l'autre côté de la cloison, la cheminée du petit salon, d'un style très différent.

Décor intérieur note de synthèse : il nous a été souvent affirmé que le décor du salon de Fongravey est « d'origine ». Mais de quelle origine? Nombre de gens estiment que le XIXe siècle est une période très lointaine. Il est donc très difficile, faute de documents, de situer par une tradition orale l'époque de cette boiserie. La méthode comparative reste seule source d'enseignement, mais en agissant avec précaution. Là, réside en fait le problème de datation pour Fongravey : a-t-on affaire à un ensemble décoratif de la fin du XVIIIe siècle, ou à une réalisation du siècle suivant ? Les panneaux de Fongravey ont été travaillés avec délicatesse et le motif des rinceaux, formant une large frise interrompue, rappelle certaines peintures pompéiennes où les volutes de feuillage animent et égaient les scènes figurées. Si l'article publié par César Daly dans la « Revue générale de l'architecture » affirme que l'architecte de la maison de campagne de Blanquefort était assurément un homme de beaucoup de goût, le décorateur peut susciter un semblable enthousiasme, à moins qu’architecte et décorateur ne fussent la même personne. Nous pensons alors pouvoir accepter la suite des années 1780 pour période de réalisation du décor intérieur, en ayant conscience du fait que la demeure, est un « bien de campagne » et n’a donc pas eu à montrer un luxe ou un faste déployé par les hôtels de Bordeaux dont les salons avaient un apparat sans doute moins utile dans une demeure, somme toute petite, de Blanquefort.

Notes de synthèse : La demeure actuelle est le résultat d’importantes transformations qui, de l’état d'origine que parait présenter la gravure du XIXe siècle, ont assurément détourné le style et l'idée architectural du départ. Le problème posé par l'architecture de la demeure actuelle, réside en premier lieu, dans les proportions. Curieusement, les documents photographiques révèlent très mal l'étroitesse de l'entrée principale entre des colonnes petites et maigres qui soutiennent un balconnet dont les balustres sont minuscules. En second lieu, la façade postérieure est d'une modestie qui tiendrait de la médiocrité, si l’on ne préférait pas imaginer une modification complète de l'état antérieur. Il est mal aisé de savoir si la gravure du siècle dernier montre les proportions réelles de la construction. Si cela était, nous abonderions avec enthousiasme, dans le sens de Cézar Daly lorsqu'il affirme que l'artiste qui a construit cette maison était un homme de beaucoup de goût. Sinon, il serait difficile d'évoquer un disciple de Louis comme architecte de cette demeure ; ou bien les dimensions fournies par l’architecte n’ont pas été respectées. Les cuisines, la lingerie dans un sous-sol à demi souterrain, le rez-de-chaussée ayant fonction d'étage noble, l'étage réservé aux chambres, est une disposition que l’on retrouve dans nombre de demeures de la campagne à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe.

Source : châteaux et maisons de campagne de Blanquefort, mémoire de maitrise de Bertrand Charneau, Université de Bordeaux III, 1984.