Marguerite Dumora 

Marguerite Emilienne Guerre est née le 31 décembre 1874 à Salles (Gironde), elle est la 4e enfant d’une fratrie de 7 enfants ; son père est originaire d’Isère, il est menuisier, sa mère est née à Salles, elle est couturière.

Elle est admise le 4 avril 1895 élève sage-femme de 1ère classe, à l’école d’accouchement de Bordeaux, après avoir passé des épreuves de lecture, d’orthographe, d’arithmétique et de système métrique. Après 2 ans d’études elle obtient son diplôme de sage-femme en 1897.

                                    

1895-certificat-eleve-sage-femme            UNIVERSITE DE FRANCE

ACADEMIE DE BORDEAUX

CERTIFICAT D'EXAMEN PREPARATOIRE 

au titre d’élève sage-femme ou d’herboriste de 1ère classe

Le secrétaire de la faculté de Médecine et de pharmacie de Bordeaux, Président du jury spécial institué par l’arrêté ministériel du 1er août 1879 pour l’examen préparatoire des aspirantes au titre d’élève Sage-femme de 1ère classe, des aspirants et aspirantes au titre d’herboriste de 1ère classe certifie que Mademoiselle GUERRE Marguerite Emilienne

Née à Salles département de La Gironde

Le 31 décembre 1874, aspirante au titre d’élève sage-femme de 1ère classe a subi avec succès le 4 avril 1895, les épreuves mentionnées à l’article 1er de l’arrêté du 1er août 1879 et portant sur la lecture, l’orthographe, l’arithmétique et le système métrique.

Fait à Bordeaux le 4 avril 1895

  

 

 

Elle épouse le 2 décembre 1898 Jean dit Isnel Dumora, valet de chambre, également natif de Salles, sur l’acte de mariage elle réside à Talence, elle y fait probablement un remplacement de sage-femme.    

 

En 1898, la commune de Salles compte 4 sages-femmes pour 3800 habitants :

Nom, prénoms sage-femme Année et lieu d’obtention du diplôme
Boutevin Jeanne 1894 à Bordeaux
Courbin Pétronille Germaine 1889 à Bordeaux
Nouaux Marie née Plantey 1851 à Bordeaux
Courbin Marie née Téchoueyres 1855 à Montpellier

 

Il n’y a vraisemblablement pas suffisamment de travail pour une 5e sage-femme, c’est sans doute la raison pour laquelle Marguerite Guerre quitte Salles pour aller travailler ailleurs, d’autant que de nombreuses communes n’ont pas encore de sage-femme.

En 1898, Marguerite Guerre exerce à Castelnau, elle remplace Eugénie Travère épouse Maurin décédée en 1897.

En cette fin du 19e siècle, quelques communes du canton de Blanquefort ont une ou plusieurs sages-femmes, mais Blanquefort n’en a pas, alors qu’il y a près de 3000 habitants.

Commune Nom, prénoms sage-femme Année et lieu d’obtention du diplôme
Bruges Bret Augusta née Dougnac 1890 à Bordeaux
Eysines Lassalle Pauline 1873 à Paris
Ludon Bosq Marie née Guilhem 1865 à Bordeaux
Macau Chelle Marie née Renon 1874 à Bordeaux
St Médard en Jalles

Matha Cora
Dubois Françoise
Seguin Marie

1895 à Bordeaux
1888 à Bordeaux
1846 à Paris

 

Le couple Marguerite et Isnel Dumora s’installe dans le bourg de Blanquefort en 1900, 2 fils naitront de cette union, André en 1901 et Jean en 1904.

Quand Marguerite Dumora arrive à Blanquefort, ce n’est pas un désert médical, la commune compte un docteur en médecine, Alphonse Poumeau Delille depuis 1873, et un pharmacien, Pierre Gulistan Duprat depuis 1872. Elle travaille en étroite collaboration avec le docteur de la commune qui seront successivement : Poumeau Delille ,Brun, Castera qui s’installe à Blanquefort peu de temps avant que débute la 1ère guerre mondiale.

Au début de sa carrière elle se déplace à pied puis à bicyclette partout dans la commune et parfois au-delà : Le Taillan, Le Vigean, Bruges.

En juin 1929 un drame va endeuiller Marguerite Dumora, son époux est lâchement assassiné par deux voleurs, les coupables ne seront pas identifiés et échapperont à la justice, elle devient veuve à 55 ans.

Marguerite Dumora exercera pendant presque 60 ans son métier de sage-femme à Blanquefort, mettant au monde deux générations de Blanquefortais. Son dernier accouchement fut celui de son arrière-petit-fils, Alain, en 1956, elle avait 82 ans.

Cimetiere-Dumora-1929

 

 

 

 

Alors qu’elle allait avoir 94 ans, elle décède le 4 décembre 1968 à Blanquefort et est enterrée au cimetière de la commune.

 

 

 

 

 

 

Dans un article consacré à Marguerite Dumora paru dans le bulletin municipal, La Gazette de Blanquefort, il est écrit : « Parcours droit et sans faute d’une dame aimable et simple qui pratiqua son métier avec passion et permis à bon nombre de femmes de mettre au monde leurs enfants dans les meilleures conditions d’hygiène que cette époque permettait ».

 Marguerite-Dumora-en-famillePortrait-Dumora-Marguerite-1

 

 

 

 

 

 

  Marguerite Dumora avec sa belle-fille Renée et son petit-fils Michel

 

 

 


Conseil municipal

Pendant la seconde guerre mondiale, elle est nommée conseillère municipale de 1941 à 1944, c’est la première et unique femme à siéger au conseil municipal de Blanquefort.

Elle fait partie des commissions « hygiène » et « assistance et œuvres sociales » avec le docteur Castera, leur métier et leurs connaissances des familles de Blanquefort étant un atout dans ces domaines.Signature-2

Elle ne fait pas partie de la délégation spéciale nommée par le préfet de septembre 1944 mais est élue dès le 1er tour aux élections de mai 1945, réélue en 1947 et 1953.

Lors des élections de 1945, 1947 elle obtient le 2e plus grand nombre de voix et en 1953 le 3e plus grand nombre de voix, ce qui prouve sa popularité auprès des Blanquefortais.

Elle ne se représente pas en 1959, c’est son fils Jean qui prend la relève de la famille.

                         

Dans sa séance du 6 février 1970 le conseil municipal procède à la dénomination d’un certain nombre de voies communales dont la rue « Marguerite Dumora », dénomination accompagnée du texte : « Conseiller municipal, établie comme sage-femme, a mis au monde deux générations de la commune. Pendant toute sa vie, elle a porté dans les foyers les plus humbles réconforts par ses ressources morales et matérielles qu’elle dispensait libéralement à tous. A laissé un souvenir impérissable dans tout le canton ». 

Plaque-rue-Marguerite-Dumora-Blanquefort

Sage-femme, une affaire de famille

Marguerite Dumora n’est pas la seule sage-femme de la famille Guerre.

Avant elle, sa sœur aînée, Marie Florentine, obtient son diplôme en 1887, elle s’installe à St Morillon où elle se marie en 1892 avec Jean Ragues.

La cadette, Florentine Marie, obtient son diplôme en 1904, elle commence sa carrière à Ludon en 1908. Elle épouse Pierre Maxime Benaben, charron, originaire de Blanquefort, le 14 avril 1909 à Ludon puis, à partir de 1911 le couple réside à Blanquefort dans le quartier de La Palu. Dès lors elle continue sa carrière de sage-femme à Blanquefort puis à Parempuyre, les deux sœurs pouvant compter l’une sur l’autre dans l’exercice de leur métier.

Arbre-genea-Guerre

Autres sages-femmes à Blanquefort

Les femmes de la commune n’ont pas toujours eu la possibilité de faire appel à une sage-femme résidant à Blanquefort, seuls 2 autres noms figurent pour Blanquefort sur les listes du personnel médical dont les archives ne possèdent pas toutes les années de 1833 à 1928, ce sont :

Anne Dubernet épouse Lartigue, originaire de Captieux qui a exercé à Blanquefort de 1864 à 1876, elle avait obtenu son diplôme en 1846.

Marie Joséphine Tian est mentionnée en 1895 et 1896, elle avait obtenu son diplôme en 1869.

 

Comment devient-on sage-femme ?

Au 18e siècle la sage-femme, appelée parfois matrone, est élue, sans formation spécifique, par l’assemblée des femmes de la paroisse en présence du curé, elle prête serment et l’acte est enregistré dans le registre des baptêmes. En voici un exemple avec l’élection de Jeanne Maubourguet à Salaunes : « Aujourd’hui, le 29 avril 1754, Jeanne Maubourguet, veuve de François Ornon, de cette paroisse (de Salaunes), agée d’environ quarente six ans, a été élue dans l’assemblée des femmes de cette paroisse à la pluralité des suffrages pour excercer l’office de sage-femme et a prêté entre nos mains le serment à ce requis suivant l’ordonnance de monseigneur l’Archevêque de Bordeaux ; en foy de quoy jäy signé à Salaunes le 29 avril 1754. Caillavet curé. » Transcription de Catherine Bret-Lépine.

Le nom des sages-femmes apparait parfois sur des actes de baptêmes, c’est le cas à Blanquefort le 20 avril 1767 pour le baptême de Jean Laffon qui « a reçu l'eau baptismale par la femme sage appelée Izabeau Dubourdieu ».

La révolution vient mettre un terme aux pouvoirs religieux et royal exercés sur les sages-femmes. La 1ère école nationale de sages-femmes est ouverte par Mme Marie-Louise Lachapelle (née Dugès) le 30 juin 1802 à Paris à l’hôtel-Dieu et s’installera en 1814 à Port-Royal ; les études étaient alors de 6 mois puis très vite d’une durée de 1 an, les élèves deviennent des sages-femmes de 1ère catégorie et peuvent exercer dans toute la France. Des écoles départementales sont créées quelque temps plus tard, elles facilitent le recrutement local, moins onéreux, les élèves formées sont dites sages-femmes de 2e catégorie et ne peuvent exercer que dans leur département. Ce diplôme de sage-femme est le 1er diplôme attribué aux femmes. Les sages-femmes exercent majoritairement dans les régions rurales, elles accompagnent la femme enceinte avant, pendant et après l’accouchement. La notoriété des sages-femmes restera importante aussi longtemps que la majorité des accouchements auront lieu à domicile.

En 1892 la durée des études est portée à 2 ans, le niveau scolaire pour être admise dans les écoles est évalué, un extrait du casier judiciaire est exigé, la différenciation des 1ère et 2e classes est supprimée officiellement en 1916, dans les états consultés dès 1895 la différenciation n’existe plus.

De nos jours, la durée des études est de 5 ans pour un effectif de 30 étudiants par promotion.

Remerciements à Michel Dumora, un des petits-fils de Marguerite Dumora, pour sa disponibilité et ses précieux souvenirs.

Sources : archives départementales de la Gironde : état-civil et série 5 M - Archives de Bordeaux métropole série K et D - Histoire de la formation des sages-femmes en France d’Odile Montazeau et Jeanne Bethuys - La Gazette de Blanquefort.

Martine Le Barazer février 2021.

 

Souvenirs de Michel, petit-fils de Marguerite Dumora

J’ai eu le plaisir de découvrir la femme cachée derrière ce nom gravé dans la mémoire des anciens blanquefortais lors d’un entretien avec son petit-fils Michel.

Marguerite Dumora avait 2 fils, et la 2e guerre mondiale les a éloignés de Blanquefort. L’un était dans le nord et l’autre dans le sud, à Agde. Le papa de Michel, marin au sémaphore d’Agde, s’y est établi, s’y est marié et y a créé son 1er garage automobile.

Les deux frères sont revenus au pays en 1929 au décès de leur papa sauvagement assassiné près de la barrière du Médoc. Il exerçait le métier de maître d’hôtel à Bordeaux. Les deux frères ont tout pris en main car leur maman était trop occupée par son métier. La maison familiale, 32 rue Gambetta, fut coupée en deux, le milieu fut réservé à leur maman avec un grand salon pour recevoir. En alternance, elle vivait chez un de ses 2 fils. Elle avait très peu de ressources pour vivre. Cette maison à l’origine appartenait à sa belle-famille, l’arrière-grand-mère Dumora.

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Marguerite Dumora exerçait son métier de sage-femme comme une vocation, un sacerdoce. Souvent elle n’était pas payée et même aidait ceux qui étaient dans le besoin ! Elle avait confectionné une sorte de lingerie avec un classement par âge. Les linges étaient entretenus par elle, et elle les apportait chez ses patientes. Quand l’enfant grandissait elle revenait avec ceux adaptés et reprenait les anciens pour une future patiente.

Pour Michel et sa sœur, ce n’était pas une grand-mère gâteau ou cadeau. Elle n’était pas comme celles d’aujourd’hui qui gardent leurs petits enfants ! Elle était trop occupée. Elle était aimante, dévouée et très dévote (Présidente de la Ligue Catholique).

Elle travaillait beaucoup avec le Docteur Castéra, tous deux étaient de la même génération, de la même culture et altruistes.

Quand je parle d’elle aux anciens du village ils décrivent une dame habillée d’une robe longue noire, en vélo, avec un petit sac qui va par les chemins et voies vers ses patients. A entendre ces anciens de Blanquefort qui n’a pas été mis au monde dans sa maison, chambre parentale ou parfois dans la cuisine par cette dame toujours disponible !

Avant la seconde guerre mondiale, en 1930, le papa de Michel décide de remonter son garage à Blanquefort. Peine perdue, la guerre éclate, les employés et le chef d’entreprise partent au service militaire et donc il est obligé de fermer boutique. Pendant la guerre, le garage est pillé et réquisitionné pour devenir un atelier de menuisier géré par la troupe d’occupation.

Pendant la guerre de 40, Michel est envoyé chez son grand-père à Agde, en zone libre. Son grand-père vivait chichement mais rien ne manquait. Il récupérait des souliers, en tant que placier au marché d’Agde ; il revenait toujours avec des denrées ; à l’étang il récupérait le coke (charbon des machines à vapeur) pour se chauffer et il péchait. Sa grand-mère faisait la couture. Bref, ils ne manquaient de rien. Ce grand père, tous les soirs, prenait uniquement un grand bol de café au lait avec du pain.

À propos de cette guerre une anecdote revient à l’esprit de Michel. Le docteur Castera a été dénoncé comme détenteur d’armes. Il fut emprisonné au fort du Ha et c’est un docteur allemand qui a réussi à le faire libérer pour qu’il reprenne ses activités.

Après-guerre, Michel revient à Blanquefort. Il vit rue Gambetta à côté de sa grand-mère et fait ses études au lycée technique du cours de la Marne. Son papa était ambulancier à Montalivet et transportait les prisonniers blessés au déminage vers le camp de Souge. Il se souvient avoir bénéficié des premiers soins dentaires à Montalivet avec un dentiste prisonnier allemand. À la maison, pendant cette période, ils ont reçu le week-end des prisonniers forts sympathiques.

En 1949, il avait alors 17 ans, son père reprend son activité de garagiste en indivision avec son frère. Cette situation n’a pas duré. D’un commun accord, il cède ses droits sur la maison rue Gambetta au profit du garage, avenue du général de Gaulle. Il creuse une fosse pour recevoir une citerne de 600 litres de carburant (1ère pompe de la commune) et bâtit le garage sur l’ancien emplacement d’une forge (terre battue, soufflet, enclume et divers outils sont mis au placard !).

Garage-Dumora

 

« Mon père m’a pris au garage et pendant 42 ans nous avons travaillé ensemble sans aucun mot plus haut que l’autre, en parfaite symbiose !
 Quand j’ai eu mon permis, alors plus d’une fois j’ai transporté ma grand-mère chez ses patientes éloignées, activité qu’elle a poursuivi jusqu’à épuisement en 1956. Elle fut opérée plusieurs fois (à l’éther !) du cœur et le chirurgien disait d’elle qu’elle était un roc. »

Une anecdote de famille qui causa parfois des soucis aux deux frères : le père de Michel selon l’état civil s’appelait André, Joseph, Jean et dans la commune on l’appelait Jean. Son frère, le tonton de Michel, était déclaré à l’état civil Jean, Joseph et dans la commune on l’appelait André !

À son décès, en 1968, elle n’avait rien à partager, elle avait toujours été dépendante de la famille. Elle s’est éteinte, apaisée et heureuse de son travail bien accompli.


Texte et photos de Pierre-Alain Leouffre, entretien avec Michel Dumora, novembre 2021.