« Quand j’étais drôle… »

C’est ainsi que notre aimable interlocuteur ponctue certaines déclaration lorsqu’il nous conte son passé à Blanquefort. Né à Blanquefort en 1929, de parents du cru, il a vu le village de 2 500 habitants passer à 15 000 ces dernières années !

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Les anciens lui ont confié des histoires et il s’en souvient bien. Avant d’écrire davantage, nous le remercions pour ce partage, pour sa disponibilité et surtout pour son amabilité.

Le moulin de Canteret était notre première préoccupation. Que s’y faisait-il ? Pas grand-chose ! Autour du moulin et de part et d’autre de la Jalle il y avait une poulinière. Les bâtiments le long de la route et de l’autre côté de la jalle étaient des écuries. Un bâtiment composé de boxes pour juments poulinières. Il ne l’a pas vu fonctionner. Une maison d’habitation, en pierre, était dans la cour. Sur le côté des écuries il existait un passage à gué, bâti de pierre, pour traverser la Jalle et se diriger vers la forteresse et les près. Cet accès existe toujours et nous pensons avoir trouvé quelques traces du gué.

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De l’autre côté de ce passage, le terrain était la propriété du boucher de Blanquefort. Il y élevait ses bêtes. Elles passaient devant sa ferme pour aller aux abattoirs du boucher. La boucherie était en lieu et place de l’actuel Crédit agricole. L’abattoir se situait vers « Médoc optique », il n’en reste aucune trace. Sur le côté du moulin, une terre appartenait à M. Robert. Cette terre jouxtait le lavoir de Canteret. Revenons au moulin, une activité s’y est développée, produire de l’électricité, car n’oublions pas que ce secteur de Blanquefort était champêtre, il n’y avait que vignes sur les coteaux et prairies dans la zone marécageuse. Ces prairies étaient, chaque hiver, inondées. Bref, pour avoir de l’éclairage, le propriétaire du moulin a utilisé la force de l’eau. L’éclairage public n’est arrivé dans cette zone qu’en fin des années cinquante.

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Le secteur ne ressemble pas du tout à celui décrit par notre conteur ! Il n’y avait pas de route mais des chemins, des chemins de terre. On passait la Jalle à gué avec des charrettes car les automobiles sont arrivées plus tard. Imaginez : « Solesse » n’était que vignes ! Des petites parcelles car les exploitations étaient de petites tailles. Encore que dans le passé Dulamon, propriété de Piganeau, avait plus de 50 ha de terres, la propriété Duvert englobait les zones de la maison de retraite, les bois et les terres autour de la forteresse, Delisse était propriétaire du Déhez et terres alentours, Poissan était propriétaire des terres occupées à présent par « Cimbats, Cholet et Saturne ! Plus exactement depuis « la zone industrielle actuelle jusqu’à Saturne ». Les anciens Blanquefortais travaillaient alors chez « Delisse, Piganeau…»

Puisque l’on parle de chemin, il en existait un pour rejoindre le Vigean en partant depuis le Dehez. Il n’y avait pas de voie de chemin de fer à cette époque là. Le chemin passait entre les deux constructions et il devrait y avoir encore quelques traces. C’est Magnol qui a détruit une ancienne construction en fond de son terrain, en face de celle persistante en bas du coteau.

Les chemins de terre étaient entretenus par les usagers, il en était de même des haies. Les riverains devaient combler les trous en portant la grave avec leur tombereau.

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Le lavoir de Canteret était important. Il comportait des bancs et de grandes cheminées pour chauffer l’eau. Une lavandière, Eugénie Lavergne, venait y laver son linge. Elle était installée derrière l’église et avait des étendoirs en bas dans la prairie. Ce lavoir a fonctionné jusque dans les années cinquante. Des brouettes de linge passaient sur le chemin pour se rendre au lavoir, c’était un lieu très vivant. Les femmes du secteur y lavaient leur linge et échangeaient leurs informations. C’est ainsi que toutes les nouvelles du village se diffusaient. On se baignait dans l’eau claire et on y péchait des écrevisses. Dans le fond de l’eau on voyait des coquillages, on en voit toujours, mais non comestibles. La poudrerie a souvent souillé l’eau en y déversant on ne sait quoi comme produit, mais à chaque fois tous les poissons avaient le ventre en l’air ! Les pêcheurs étaient surveillés par les gardes et il ne faisait pas bon d’être pris en flagrant délit, bien que certains, provenant de Bacalan, n’avaient pas peur de les mettre à l’eau ! Le lavoir s’est dégradé très rapidement. Disons qu’en peu de temps il a été démonté par les habitants des environs. Depuis le lavoir, on atteignait le cœur de la forteresse, car en fait la forteresse n’est pas réduite à ce vestige apparent. Drôle, comme dit notre conteur, on trouvait des boulets vers Curegan ainsi que des traces de fortification. Toute cette plaine était régulièrement inondée. Autrefois, il y avait un lavoir à l’entrée du village, en lieu et place du parking et du centre commercial. Il était alimenté par une source. Par un fossé l’eau de ce lavoir traversait le domaine de Cholet pour rejoindre Canteret et il alimentait les cressonnières de Canteret. Dans certains fossés, il y avait des anguilles.

Le vivier de Cholet était alimenté par sa propre source. Son trop-plein s’écoulait par un fossé, en bas de l’avenue du maréchal Juin, et le long de la Jalle il alimentait la cressonnière. Un réseau d’eaux pluviales de la commune descendait vers la Jalle depuis la rue Tastet-Girard, en passant sous la place de l’église. L’eau était collectée par un système de buses et était dirigée vers la Jalle de Canteret. La vie locale était rythmée pas l’agriculture et la nature. À l’époque, notre conteur accompagnait son père aux Capucins pour vendre leurs légumes, en charrette car les voitures ne sont arrivées que plus tard. « On partait de bonne heure et on tentait de revenir la charrette vide ». Près des Capucins, les chevaux se reposaient dans les écuries sises cours de l’Yser. Il y a eu un arrêt particulier du tramway pour transporter les maraîchers d’Eysines jusqu’aux Capucins car la ligne passait en plein milieu.

Pendant la guerre de quarante, un wagon spécial, avenue de la pompe à Eysines, se tenait à disposition des maraichers.

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Le terminus du tram était à Blanquefort, chez « Gégé », et le dépôt était à Bruges. Les Capucins étaient une grande institution ! Du Lot-et-Garonne, des Landes et d’ailleurs, tous se pressaient pour vendre leurs produits frais. Les allées étaient étroites, tout juste 1 m, et je me souviens, dit-il, les femmes portaient les colis sur la tête ! La population des Capucins fut espagnole puis portugaise. J’avais 14 ans à cette époque et j’y ai découvert un langage fleuri différent de l’école ! De ci, de là, le long des rues qui mènent aux halles, des charrettes et des charrettes… et j’apprenais les noms d’oiseaux et expressions typiques !

Des mandataires entouraient les halles, ces commerçants importaient des primeurs du Maroc.

Depuis le marché à bestiaux, qui se situait près de gare Saint-Jean, les toucheurs (nom qui vient du fait qu’ils touchaient les vaches grasses) venaient à pied jusqu’à Blanquefort avec les bêtes qu’ils vendaient.

Un train allait de Bruges jusqu’à Hourtin, il avait pour fonction le transport des poteaux de mine. Les pins étaient utilisés dans le Nord pour bâtir les mines. Pour ce, ils étaient coupés à 2 m. Le train récupérait, le long de son chemin, les troncs travaillés par les forestiers. Je me souviens, dit-il, à l’époque où j’ai fait mon service, à la base d’Hourtin, il me fallait la journée en train pour y aller ! Il s’arrêtait à Salaunes, Lacanau et il n’y avait pas beaucoup de voyageurs ! En 1948, il y avait encore des hydravions à la base. Nombreux sont ceux « qui sont tombés » affirme-t-il ! Cette base a été construite par les occupants, dans le cadre du mur de l’Atlantique. Avant, il n’y avait rien dans le coin ! Si des pins… Tous ces pins étaient amenés sur les quais de Bordeaux, aux hangars, il y avait de tout partout ! Du bois, des barriques, des caisses. Tout ça partait ensuite par bateau.

Entretien d’André Ornon avec Pierre-Alain Léouffre, le 18 mars 2016.