Les oubliés de la Grande Guerre : les Marocains à Bordeaux 

Au début du conflit, en 1914, le résident général au Maroc, le général Hubert Lyautey, reçoit l'ordre de rapatrier des contingents de militaires français en métropole. Ne voulant pas se démunir de ses troupes, la « pacification » du Maroc n'étant pas achevée, il propose à sa hiérarchie une stratégie différente : fournir des hommes indigènes volontaires, du bétail, des céréales pour subvenir aux besoins de ce que les historiens appelleront ensuite la Grande Guerre.

C'est ainsi que le 17 août 1914, 4 000 spahis, tirailleurs, goumiers marocains débarquent sur les quais de Bordeaux et dressent un campement de tentes sur le pavé des Chartrons (aujourd'hui cours Xavier-Arnozan). Une aventure inédite pour ces bataillons qui constitueront la Brigade marocaine baptisée ensuite Premier Régiment des tirailleurs marocains.

Comme le relate le capitaine Alphonse Juin, futur maréchal de France : les Bordelais se précipiteront autour de leur étrange campement, intrigués par ces grands hommes bruns maigres comme des fakirs, ceux des tribus berbères au crâne rasé ou au contraire portant longue chevelure en signe de bravoure, tous vêtus de djellabas à capuchon, en laine brune ou noire et que les Allemands surnommeront ensuite les hirondelles de la mort à cause de cette tenue sombre, de leur acharnement et de leurs succès aux combats. Un Bordelais, René Lebègue (1875-1963), propriétaire viticole et négociant, relate dans ses carnets de guerre la présence de ces Marocains : « J'ai croisé hier le train de la fameuse division marocaine qui s'est illustrée avec la Légion étrangère, Turcs, Zouaves, Marocains, Sénégalais. C'était étrange de voir des Turcs puis un cortège de voitures de toutes classes, de vieux omnibus, des arabes marocains, des chevaux de trait avec des mulets de bât, des spahis avec des gendarmes. » Et plus loin, « les Marocains, après quatre jours de repos, sont repartis au front, sans protestation, et presque joyeux car ils s'accoutument mal à cette vie de cantonnement monotone dans un pays aux habitudes qui leur sont inconnues. Ils préfèrent la fièvre du combat, la mort les indiffère et ils éprouvent une joie intense à la donner. » Ou encore : « À côté de gens trop décorés, on voit de nombreux Marocains ou Algériens mutilés qui n'ont pas la moindre médaille et partent aux combats pour une cause qui n'est pas la leur ! »

Les pertes globales pour les troupes marocaines sont de l'ordre de 11 000 hommes tués, blessés et disparus, soit 26 %, soit un peu plus que les troupes françaises (24 %).

Les troupes et les travailleurs coloniaux marocains ont joué un rôle important pendant la Grande Guerre. Leur histoire reste pourtant relativement obscure et on ne leur a pas accordé beaucoup d'attention historique lors des commémorations publiques de la Grande Guerre qui continue d'être vue selon un prisme seulement européen.

Article du journal Sud-ouest du 2 décembre 2014, Cadish.