La Fronde 1649-1653 

La fronde de l'Ormée est souvent évoquée, mais elle ne montre le plus souvent que les évènements de Bordeaux. Au cours de la dure répression qui a suivi, les campagnes environnantes ont beaucoup souffert du passage des troupes royales. Ce sujet mériterait un travail de recherche.

1. L’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité 

« Avant d’aborder les « misères de la guerre », essayons de tracer à grandes lignes les caractéristiques et le déroulement de la Fronde bordelaise. Malgré les multiples textes, livres, mémoires, libelles, courriers secrets, etc., écrits pendant ou sur cette période, il est quasiment impossible d’en discerner les motivations profondes tant elles sont multiples et enchevêtrées, souvent frivoles ou égoïstes, au gré des changements de partenaires. Par une simplification extrême, disons que ce fut le dernier grand sursaut, à l’occasion de la minorité de Louis XIV, né en 1638, contre l’affermissement de l’autorité royale et la création d’un sentiment national. Les parlementaires voulaient sauver leurs privilèges, les Grands défendre leurs prébendes ; le peuple, lui, avait faim. Tous se révoltaient contre les nouveaux impôts que Mazarin essayait de lever pour pouvoir soutenir les guerres en Flandres, Piémont et Catalogne.

Selon la conception historique de l’époque, les « troubles » décrits relèvent plutôt de la guerre en dentelles. On connaît le comportement des princes mais l’on ignore les souffrances du petit peuple des campagnes, principale victime. « Vingt ans après », le roman d’Alexandre Dumas semble accumuler les invraisemblances. Pourtant, le romancier n’a rien inventé : moines espions, agents doubles ou triples, lettres interceptées, changements de camp soudoyés par l’argent espagnol ou anglais, princes dépravés, princesses « amazones » remuantes, politique de la Reine, politique du Cardinal, etc.

Notre propos est de faire connaître les souffrances des populations de notre petite région. Mais auparavant il est utile de présenter sommairement le déroulement des quatre phases de la Fronde en Bordelais.

En 1648, les prémices : le gouverneur Bernard d’Épernon, arrogant et cupide, ne fait rien pour calmer l’irritation antifiscale du Parlement et la crainte populaire de la disette. Il loge en quartiers d’hiver sous les murs de Bordeaux les soudards venus de Catalogne, s’empare du château de Vayres, fait construire une citadelle à Libourne et bloque le ravitaillement par les fleuves. Le Parlement règne en maître dans la ville et recrute environ 12 000 hommes, la plupart citoyens volontaires.

La Fronde parlementaire, d’avril à décembre 1649. Les Bordelais tiennent solidement Lormont, sont victorieux à Camblanes et finissent par prendre le château Trompette mais leur marche sur Libourne en passant par Créon se termine le 26 mai par un échec sanglant près de Branne. En fin d’année, les troupes royales renforcées par des vaisseaux échouent à La Bastide et Lormont, et Mazarin accorde le 26 décembre une paix inespérée.

La seconde Fronde dite des princes durera de juin à septembre 1650. Le Parlement est débordé par les nobles frondeurs qui frayent avec la « canaille », font venir une flotte espagnole à Bacalan et réoccupent Vayres, mais Mazarin en personne est accouru avec des troupes entraînées qui reprennent le château et assiègent Bordeaux. Elles sont repoussées après de durs combats au faubourg Saint Seurin et dans les marais de la Bastide. La paix est signée le 28 septembre, une fois encore très favorable aux insurgés.

La dernière phase est appelée l’Ormée. Elle débute en 1651 avec l’arrivée de Condé, nommé gouverneur, mais qui ne songe qu’à fomenter une nouvelle guerre soutenue par l’Espagne. Pendant deux années, les bourgeois furent terrorisés par l’agitation d’un petit peuple de boutiquiers et de quelques meneurs s’inspirant des idées républicaines de Cromwell. Les hostilités ne commencèrent vraiment qu’en début de 1653, lorsque Condé livra la position clef de Bourg à ses alliés espagnols et obtint d’eux un contingent de 2 500 mercenaires Irlandais répartis entre Lormont, Bourg et Libourne. Cette principale force des insurgés changea vite de camp moyennant finances et, après quelques chevauchées ravageant les récoltes de l’Entre-deux-Mers, la paix fut enfin signée à Lormont le 30 juillet 1653.

Ce n’est pas chez les chroniqueurs ou les historiens que nous avons trouvé les principaux témoignages des souffrances des populations. C’est d’abord des enquêtes menées en 1650 par le Parlement pour décharger le clergé de ses impositions et étudiées par Gabriel Loirette, ensuite dans les lettres publiées par la Revue Historique de la Gironde et enfin dans les registres paroissiaux riches en indications démographiques.

L’année 1649 fut vraisemblablement la plus catastrophique mais si l’on ne trouve à nouveau que quelques indications en 1653, on peut tenir pour certain que pendant les années intermédiaires, si les atteintes aux personnes furent peut-être moins nombreuses en raison de l’engagement de troupes mieux disciplinées, celles aux biens furent aussi funestes, ne serait-ce que la dévastation systématique des récoltes pendant cinq ans.

Voici d’abord les conclusions de Gabriel Loirette : « Tous les témoignages concordent ; tous signalent les mêmes dommages causés aux biens et aux personnes : pillage général, par les soldats, des habitations, dont un grand nombre furent incendiées ; femmes violées ou enlevées ; paysans torturés ou tués ; vols de meubles et d’argent ; destruction des moissons, des vignes, des arbres fruitiers ; enlèvement du bétail et particulièrement des bœufs « aratoires » ; blés en herbe foulés par les cavaliers ou mangés par les chevaux ; tonneaux défoncés dans les chais, etc. La plupart des habitants, privés de tout, affolés parce qu’exposés aux tortures (il y en eut d’effroyables et d’un sadisme révoltant) et à l’assassinat, préfèrent abandonner leur demeure et leur village ; les enquêtes signalent la désertion en masse des campagnes.

D’après les dépositions faites par tous les curés des paroisses, il apparaît que la soldatesque s’est acharnée plus particulièrement sur les églises, proies tentantes et faciles ».

Ces atrocités étaient le fait de soudards, souvent étrangers, accoutumés à cela pendant la guerre de Trente Ans. Indisciplinés et affamés, ils vivaient sur le pays. D’Épernon écrit « nous n’avons ni vivres, munitions ni argent, non plus que d’outils ou équipages d’artillerie » et Champenault un de ses officiers « le pain n’est point commun dans l’armée et il y a un grand nombre de soldats qui n’ont point d’armes, il est à craindre que l’armée ne se dissipe.»

Le Parlement décréta : « Il était important de ne pas laisser perdre les preuves des désolations extraordinaires qu’à souffertes cette province depuis les derniers troubles, pour les ruines des églises et maisons presbytérales où l’on a exercé toutes sortes de sacrilèges et impiétés, et par le brûlement et la démolition des châteaux ou toutes sortes de violences, dégâts et pillages ont été commis non seulement par un désordre qui dépassa tous les ordres accoutumés dans la guerre… même après le pardon royal. »

En 1649, on dénombra au moins 117 paroisses concernées dont 27 sur la rive droite de la Dordogne et 33 sur la rive gauche de la Garonne surtout en Médoc, banlieue et Graves. L’Entre-deux-Mers eut une soixantaine de paroisses dévastées et, sans doute les plus touchées. On peut signaler à Saint-Médard-en-Jalles l’assassinat d’un coup de pistolet du vicaire Barthélémy Roger et à Barsac la pendaison de l’abbé Roux.

À Macau, Jehan Castaing, âgé de 43, ans dépose : « Saict aussy que vers la fin du mesme moys de décembre dernier quatre régimens de cavalerye, tant François, Allemans que autres estrangiers, vindrent loger dans led. bourg et paroisse de Macau, et y demerarent pendant huit jours, pendant lesquels ils commirent des actes inouis, forcarent et violarent plusieurs femmes et filhes, thuarent plusieurs hommes, et ceux qui n’avoient pas d’argent pour leur donner, ils leur faisoient des cruautés estranges, leur faisant brusler la pointe des pieds, et ce faict, avec des peignes de fer leur racloient, et à lui qui déppoze, apprès luy avoir bailhé un coup de fuzil dans les cuisses, l’ayant prins et mis tout nud, luy attacharent les mains et le pandirent avecq une corde au col à un pouteau, et ayant faict ung grand feu, le faisoient roustir ; ausquels supplices, comme il réclamait la Sainte Vierge à son secours, avecq une corde qu’ilz luy avoient attaché à ses partyes honteuses, ils le branloient et luy faisoient souffrir des maux inouis. »

Passons maintenant à l’année 1653 où des exactions sont relevées à Croignon, Langoiran et La Tresne. Le 7 juin, l’évêque de Tulle, espion du cardinal, recommande : « il est très important au service que M. de Candale fasse faire le dégast autour de la ville de Bourdeaux pour empescher la récolte car ils n’ont plus que cette espérance ». Et le 12 juin, le chevalier de Vivens, officier de Mazarin, lui écrit « Ung homme qui a belle ou jeune femme est battu par la plupart de ceux qui logent chez lui. Au général de faire justice des chefs mal vivants et pillars, et particulièrement pour le violement des femmes, meurtres et vols sur les chemins et lieux sacrés ; de faire payer les bleds coupés sans nécessité, bruslement des maisons et votre Eminence verra ceste province la plus obéissante que le Roy aye ».

Quant au colonel Marin, il se contentait de faire couper les oreilles des soldats frondeurs prisonniers. C’était un tendre !

Notes de lecture d’un article d’Henri Souque, « Les ravages de la Fronde dans l’Entre-deux-Mers ».1982, (Les Amis du vieux Lormont) dans « l’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité ». Actes du congrès de la Fédération Historique du Sud-Ouest à Libourne. Bibliothèque Municipale, Eysines.

2. Actes notariés 

Acte passé le 24 octobre 1650 chez M° Thomas notaire à Bordeaux. (Notes)

« M° Pierre Delhomme, Juge de Roquebrune et Procureur d’office de Martignas, et Guillaume Poulard, bourgeois de Bordeaux, lesquels ont dit qu’ils avaient ci-devant et conjointement affermé de la Dame de la Plane et du Vigean la Maison noble du Vigean laquelle Maison comme aussi tout le village du Vigean a été abandonné la présente année par les habitants des dits lieux à cause des gens de guerre qui ont été ordinairement au dit lieu, de manière que les dits Delhomme et Poulard après la paix faite et que les gens de guerre ont été retirés, ils se sont acheminés au lieu du Vigean pour pourvoir à faire vendanger le reste et peu de vendange que les gens de guerre avaient laissé et ont trouvé la maison grandement ruinée, les ferrures d’icelle et du chai toutes enlevées, comme aussi ont trouvé les puits de la dite maison comblés, qui a occasionné les dits Delhomme et Poulard de faire marché avec Bernard Lagurgue, Pierre Lagoyne, Mathelin, Pierre et Pierre Constantin pour retirer les immondices du puits et icelui nettoyer à la somme de 12 livres tournois et ont en outre acheté dix brasses de corde à 2 sols la brasse et 2 seaux qui ont coûté 50 sols, une poulie 7 sols et 6 deniers. Dans lesquels puits s’est trouvé quantité de plomb, une échelle, une porte de maison, deux fenêtres de maison, un bayard autrement civière, une barre de pressoir, une table avec deux tréteaux, deux girouettes de la dite maison, quantité de lopins de bois, et plus de deux charrettes de tuiles et pierres.

Le présent acte a été fait pour justification du dommage et des frais engagés afin de permettre aux deux fermiers d’avoir un recours contre la Dame du Vigean »

Acte passé le 21 mars 1651 chez M° Thomas notaire à Bordeaux. (Notes)

Suite de l’affaire entre Catherine de Mulet et Guillaume Poulard.

Acte passé le 9 août 1654 chez M° Thomas notaire à Bordeaux. (Notes)

Les enfants mineurs de feu Jehan Jacques Durand vendent une maison au Vigean, « tous les bâtiments ruinés et les dits biens perdus à cause des troubles et mouvements de guerre survenus en cette province ».

Acte passé le 31 octobre 1656 chez le notaire 3E11.757. (Notes)

Pierre Descarret, laboureur à Saint-Médard avait pris l’année 1644 à Gazaille 2 vaches estimées 20 écus qu’il dut vendre lesquelles furent vieilles et du même argent acheter des brebis qui lui furent prises par les gens de guerre lors des mouvements derniers. Son capital est perdu.

3. Divers 

Un article du « Bulletin de la Société Archéologique de Bordeaux » (Vol. 5 de 1878) signale une affaire intéressante notée dans les registres paroissiaux de Moulis : 11 habitants de Moulis ont été tués dans la paroisse de Salaunes par des Irlandais et cavaliers du régiment de Marchin contre lesquels 4 ou 5 paysans s’étaient soulevés le 27 du mois d’avril. Le 29 avril 1653, ils ont été ensevelis dans le cimetière de Moulis. Il y avait parmi eux Jean Curat et Bertrand Curat, tous deux tailleurs d’habits du village de Piquey (ou Pigney).

Texte rédigé par Michel Baron à partir de la documentation suivante : Ouvrages cités dans : « l’Entre-deux-Mers à la recherche de son identité », Bibliothèque Municipale, Eysines, Gabriel Loirette, « La désolation des campagnes bordelaises au temps de la Fronde (1649-1650) », Bulletin philologique et historique, Paris, Imprimerie nationale, 1958,  Archives Historiques de la Gironde, nombreuses publications par Tamizey de Larroque, particulièrement dans les tomes II, III, IV et XIX, Dom Devienne, « Histoire de la ville de Bordeaux », 1762. En mai 1650, un rapport sur « les excès commis par les soldats du Duc d’Épernon dans les paroisses de l’élection de Bordeaux » a été établi. La partie concernant Mérignac se trouve aux Archives départementales sous la côte C 4063. M° Thomas (et probablement les autres notaires) a établi de nombreux constats des dégâts.