La scission du Haillan 


En 1867, un décret impérial érigeait le Haillan en commune le séparant définitivement d'Eysines. Cette décision marquait la fin d'un conflit dont les racines se perdent dans la nuit des temps. La paroisse, puis commune d'Eysines, couvrait un vaste territoire de plus de neuf kilomètres de long dans lequel le quartier du Haillan occupait 40 % de la surface pour 25 % seulement de la population. Cependant, le village du Haillan n'était qu'à trois kilomètres du bourg d'Eysines qui s'est développé autour de l'église et du cimetière. Pendant des siècles, les Haillannais restèrent sous la tutelle du puissant seigneur du Thil (qui longtemps posséda aussi Bussac), alors que le reste d'Eysines était partagé en de nombreuses maisons nobles de moindre importance. Occupant des terres situées sur le plateau landais, les habitants du Haillan se sont livrés à l'élevage ovin et bovin, jouissant pour cela des landes communes mises à leur disposition par le seigneur du Thil (ils pouvaient également utiliser les landes de Mérignac moyennant une redevance annuelle de 15 sols et d’une poule). De leur côté, ceux d'Eysines (Bourg, Lescombes et Le Vigean), profitant d'un terroir plus favorable, développaient la culture de la vigne.

Après la Révolution, la commune remplace la paroisse. Elle est organisée en sections dont une couvre le Haillan et contient les landes communales. En 1779 (ou 1786 selon les sources) une transaction, entre Messire de Chassaing seigneur du Thil et les habitants du Haillan, avait changé le statut de cette lande, qui avait cessé alors d'être lande commune pour devenir propriété des habitants du Haillan. La municipalité d'Eysines veut reprendre ces terres aux tenanciers, qui bien entendu s'y opposent. Ce conflit va, pendant un demi-siècle, empoisonner les relations entre ces deux populations.

En 1849, a lieu une première tentative de séparation du Haillan. Elle débute par une pétition qui développe une argumentation basée sur la longueur des voyages et le mauvais état des chemins, ce qui nuit à la pratique religieuse et complique les formalités administratives, l'existence de la chapelle Sainte-Christine alors que l'église d'Eysines est trop petite pour accueillir tous les paroissiens.

Une enquête publique est prescrite. Elle montre que les Haillannais sont unanimes alors que le reste de la population est partagé... mais Jeantet, maire d'Eysines, prend à son compte les abstentionnistes. Le conseil municipal délibère et s'il ne rejette que par 14 voix contre 12 la séparation demandée, il s'oppose à une très forte majorité à ce que les communaux restent la propriété des seuls Haillanais. On ne badine pas avec la propriété foncière ! Sur l’ordre du Préfet, une commission syndicale est constituée au Haillan. Présidée par Monsieur Poinstaud, qui se trouve ainsi être le premier « maire provisoire » du Haillan, elle reprend les arguments de la pétition auxquels elle ajoute : la propriété des anciens communaux, la négligence que montre la municipalité d'Eysines pour l'entretien des biens publics (chemins et lavoirs) et pour l'exercice de la police (nombreux vols).

Cette tentative échoue. Mal préparée, ou trop prématurée, elle est rejetée par le préfet. Les « indépendantistes » cessent le combat pour presque vingt ans. En 1845, Monsieur Francisco Antonio de Los Héros, homme d'affaires espagnol, a acheté la propriété de Lanneblanque et l'a rebaptisée « Bel Air ». En contribuant largement aux dépenses et en usant de son influence, il va jouer un rôle essentiel dans l'érection de son village en commune. Dès 1858, le Haillan devient une paroisse distincte de celle d'Eysines. Les offices sont célébrés à la chapelle Sainte-Christine et une nouvelle église est projetée. Elle sera terminée en 1862, grâce à une souscription et à la participation du « châtelain ».

Après l'église, le cimetière : Monsieur de Los Héros offre un terrain et fait en sorte que son aménagement ne coûte rien à la municipalité. Malgré cela, le conseil municipal refuse le don et ne l'acceptera, en 1863, que sur l'ordre du préfet. En 1861, le conseil municipal profite d'un conflit entre les copropriétaires de l'ancienne lande commune pour la vendre. En avril 1866, une nouvelle pétition est adressée au préfet. Elle s'appuie sur les progrès accomplis depuis 1849 mais, se fondant sur de fausses données, semble compromise dès le départ. En effet les pétitionnaires avancent : que le Haillan ne dispose que de 4 conseillers municipaux sur 21 alors qu'il y en a 5 sur 21 ou 4 sur 20 (selon que l'on compte ou non le maire), et que le Haillan représente 800 habitants sur les 2 700 Eysinais (29 %) alors qu'ils sont 738 sur 2 847 (25 %). La demande suit son cours. Des enquêtes publiques sont prescrites par le préfet, ainsi que la constitution d'une nouvelle commission syndicale (présidée par Monsieur Paul Cursol). Le maire d'Eysines est un haillannais, Louis Petit. Ancien sous-officier des armées du Premier Empire, il est commerçant à l'île Maurice. Il défend avec acharnement la position de la municipalité. De son côté, Monsieur de Los Héros fait intervenir toutes ses relations (religieuses et politiques) auprès du préfet et du gouvernement. Il s'engage à faire don au Haillan du local de l'école. Le 9 mars 1867, le Haillan devient une commune indépendante.

Michel Baron, article de 1988 dans « Eysines mon village ».