Le blockhaus du maraicher 

Quand le grand-père et l'arrière-grand-père de Pierre Gratadour prennent en viager une riche terre d'alluvion, au carrefour des routes qui conduisent, pour l'une à Lacanau, pour l'autre au Verdon, ils trouvent sur la propriété une ferme... et un bunker. Un bunker tout neuf en cette année de l'immédiat après-guerre. Le père et le fils n'avaient pas vraiment besoin d'un pareil édifice pour cultiver salades, choux, courgettes et tomates, Mais il fallut faire avec le bunker qui, à défaut d'être utile, n'était guère dérangeant.

Plus tard, dans les années 1970, le petit Pierre Gratadour, l'actuel maraîcher de la ferme du Pont de Jalles, trouva vite un usage, avec ses frères, sœur et copains, à donner au mastodonte de béton. « Le blockhaus était le site de nos aventures. On montait dessus, on se bombardait de marrons. À l'intérieur, on se faisait de belles frayeurs ! » Le béton gris pale du temps du grand-père avait noirci et le bunker s'était entouré de végétation.

L'oubli s'installait et le bâtiment était de moins en moins visible. « Le bunker est énorme de l'extérieur ; les murs font trois mètres d'épaisseur mais, finalement, à l'intérieur, il n'y a que deux petites pièces reliées par un couloir, plus un escalier extérieur qui monte à une tourelle qui recevait, pendant la guerre, certainement un affût et son canon », décrit Pierre Gratadour. Il semble que le bunker n'ait jamais essuyé le moindre combat alors qu'il gardait les entrées du Médoc. Ce qui serait toutefois à confirmer par des spécialistes de cette période.

Le temps passant, les générations de maraîchers ont imaginé des utilisations pour le blockhaus. En vain, le problème, c'est l'humidité ; on ne peut rien y stocker sans dégât ». Y cultiver des champignons ? Pourquoi pas, sauf à dire que le blockhaus a désormais trouvé son usage : les pompiers y conduisent des exercices de feux en situation de confinement. « Un jour, un capitaine de Bordeaux m'a demandé s'il pouvait utiliser le blockhaus pour des entraînements et formations. J'ai bien sûr dit oui. » Depuis lors, les pompiers allument des feux dans le bâtiment, qui figure une cave d'immeuble, et y pénètrent avec un équipement qui résiste à la chaleur et autorise la respiration. « J'avoue que c'est très impressionnant ; la température là-dedans doit être extrême », commente le maraîcher.

La mise à disposition du blockhaus est gratuite. « C'est normal ; les pompiers me demandent toujours l'autorisation de faire un exercice quelques jours avant ; ils n'occasionnent aucune gêne. Si le bunker peut servir à quelque chose et si je peux moi-même me rendre utile, c'est très bien ! »

Article du journal Sud-ouest du 22 août 2014, Hervé Pons.