La charte des eaux de 1644

Telle est la fameuse transaction que passèrent les habitants de Ludon avec leur seigneur, le 1er mai 1644. Il était nécessaire de la reproduire dans son entier, car cet acte est d'une importance capitale pour comprendre l'histoire du pays. Il a été la cause initiale de quatre grands procès que la commune a soutenus et gagnés grâce à lui au cours des deux siècles suivants. On a pu justement l'appeler la charte de Ludon.

Voici le texte intégral du second acte notarié qui constitue la transaction

« Lequel acte sus et des autres parts écrits, moi dit notaire royal soussigné, à la réquisition du dit sieur de Pomies, me suis le même jour transporté au bourg de Ludon ; et au-devant le parquet du dit lieu, à issue de grand'messe où étant en grand nombre, je leur ai fait lecture de mot à mot du susdit acte, qu'ils ont dit avoir bien entendu, et par tant que de besoin est, en ai donné copie d'icelui à Pierre Fau, marchand du dit bourg de Ludon, en leur présence, tant pour lui que pour ses consorts, ayant droit aux padouen et raux mentionnés audit acte, et ce, par copie que j'ai délivrée au dit Fau, laquelle il a prise et reçue pour son fait particulier et a fait réponse qu'il verra que c'est. Fait le dit jour dans la maison du dit Fau, en présence des dits sieurs Cajus et Delacostille, témoins à ce requis, qui ont signé avec moi la minute des présentes ; et le dit Fau a dit ne vouloir signer. Ainsi signé à la minute : Cajus présent, Delacostille présent, et Debourdeau, notaire royal. »

Et avenant le même jour après-midi, se sont rendus dans la maison du château d'Agassac

Pierre, Arnaud et Jean Fau frères ;
Marie Dutilh ;
demoiselle Marguerite Gélibert ;
Guilhem Dumas ;
Pierre Aumailhey, dit Peyrethon ;
Arnaud et Jacques Renouilh frères ;
Fourthis Faure ; Raymond Léon ;
Arnaud-Martin Fourthon ;
Pey Andraut ;
Pey Castaignet ;
Pey Andraut, dit Boyé ;
Hélies ;
Arnaud Andraut, dit Lebic ;
Mathelin Jouanneau ;
Jean Martin ;
Pierre Pitres ;
Antoine et Nicolas Seguin, frères ;
Jeau Dupoujeau ;
Pierre Renouilh ;
Arnaud Delabatut ;
Gabriel Demaignon ;
Arnaud Léon ;
Louis Maurisset ;
Antoine Dupuy ;
Étienne Dignau ;
Pierre Martin comme mari de Catherine Saintgris,
Micouleau Hélies ;

les tous habitants du dit bourg et paroisse de Ludon, juridiction d'Agassac et Cantemerle. Lesquels adressant leurs paroles au dit seigneur, lui ont dit avoir ouï ce matin la lecture de l'acte qui leur a été notifié par moi dit notaire ; lequel contient vérité en tous ses points et reconnaissent que l'utilité publique requiert que le dit estey se fasse et parachève au plutôt. Et que de l'heure que le dit seigneur les fit verbalement requérir de contribuer à la faction du dit canal, ils s'assemblèrent dès le dix-septième du mois passé et depuis encore le vingt-quatrième du même mois et conclurent entr'eux qu'il leur serait impossible de contribuer aux dites réparations et dédommagements. Et par partant, tant aux dites deux assemblées que celle qu'ils ont faite aujourd'hui, ils ont résolu de requérir le dit seigneur de faire le dit travail à ses dépens, moyennant qu'il lui plut aussi de prendre une partie des dits raux et vacans et leur en laisser partie suffisante pour leur pacage et matte. Et qu'ils ont avisé que la part qui leur était la plus commode est le long de la Coste et qu'il serait à propos de faire une division entre les parties que le seigneur prendrait et celles qu'il leur laisserait. Laquelle séparation, ils ont jugé se devoir faire depuis l'endroit du barrail de M. le Président Pichon, qui est proche du Coulon, jusqu'à un chemin du vigneau proche le bois de la Raux, appartenant au dit seigneur, à la charge néanmoins qu'il serait laissé une ouverture grande et spacieuse pour aller de leurs raux pacager les herbes mortes dans le pré du Coulon. Comme aussi ont requis le dit seigneur de considérer que ci-devant la paroisse a vendu un chemin au feu sieur de Fauchier, qui est proche son bourdieu de la palu, par où leur bétail, sortant du chemin du Treuilh, allait dedans les raux. Et que si le dit seigneur, qui possède le dit bourdieu et chemin, usait de son droit, il les gênerait en extrême incommodité. Et que partant il lui plût de consentir que nonobstant la dite vente, ils passassent par le dit endroit. Ce qu'ayant dit au dit seigneur, les parties auraient transigé comme s'ensuit : pour ce, est-il, que le dit seigneur de Pomies faisant tant pour lui que pour dame Suzanne de Chevallier, son épouse, et les dits manants et habitants de la paroisse de Ludon, juridiction d'Agassac et de Cantemerle, ci-dessus nommés, ont accordé et transigé comme s'ensuit, savoir est : Que le dit seigneur fut obligé à ses propres coût et dépens, de faire faire le dit grand canal et estey, depuis la mer jusques à l'endroit de la dite jalle vieille, s'indemniser des prés qu'il a fournis et achetés pour le dit travail, sauf à lui de se pourvoir contre le dit sieur d'Arès, comme il verra. Plus encore de séparer les prairies du dit Coulon d'un grand fossé, icelui conduire jusques au dit endroit, appartenant au dit sieur Président Pichon, sauf d'y laisser une grande et spacieuse ouverture conduire le dit fossé, depuis le dit endroit au bois de la Raux proche le chemin du Vigneau et encore d'aller joindre le fossé du petit Arès. Et que tout ce qui se trouvera renfermé dans le dit enclos jusques au château d'Agassac sera et appartiendra au dit seigneur pour en disposer à son plaisir et volonté; renonçant les dits habitants aux droits qu'ils ont d'aller pacager et couper matte. Que par l'expresse charge et permission du dit seigneur et de ceux qui de lui auront cause et droit; lesquels fossés et canaux le dit seigneur et les siens seront tenus d'entretenir à ses propres coût et dépens, savoir est : le dit grand canal, depuis le dit lieu du Despartens jusques à la dite jalle vieille et depuis le dit endroit jusques au moulin, s'entretiendra la dite jalle, aux dépens de ceux qui aboutissent.Et le restant du dit raux, depuis le dit canal de séparation, depuis le dit bois de la Raux jusques au Coulon, qui sont du côté du nord vers les prairies, et hors l'enclos ci-dessus spécifié, demeurera en propre et particulier aux dits habitants, pour en jouir par ceux qui ont droit de padouentage comme à la coutume.

Renonçant le dit seigneur, pour lui et les siens, à la propriété des dits raux réservés, pour n'en pouvoir à l'avenir aucune part, ni en disposer en faveur de qui que ce soit, sans néanmoins déroger à son droit de padouentage ; et aussi son droit d'y pacager et couper matte, comme aussi a promis le dit seigneur, de les acquitter de l'obligation de cinquante écus, de laquelle ils étaient entrés en mil six cent trente neuf, pour le recurement de la dite jalle. Et de plus de leur souffrir le passage pour leur bétail, soit par la dite allée qui est proche du bourdieu, soit par ses propres prairies en cas qu'il occupe la dite allée, le tout néanmoins sans préjudice aux droits que les dits habitants ont de pacager dans les landes désertes et autres vacans du dit seigneur, et particulièrement dans toutes les prairies de la palu pendant les herbes mortes. Et le tout ci-dessus les sus-dites parties ont arrêté, stipulé et accepté de point en point, selon sa forme et teneur, et le tout entretenir à peine de tous dépens, dommages et intérêts ; le tout sous obligation de tous et chacun leurs biens meubles et immeubles, présens et à venir quelconques, qu'ils ont pour ce soumis et soumettent à toutes juridictions, rigueurs et contraintes des cours à ce requises et nécessaires.

Ainsi l'ont promis et juré sur leur foi et serment.

Fait et passé dans le dit château d'Agassac le dit jour, premier May, mil six cent quarante quatre après midy, ez présence de Monsieur Pierre Cajus, bourgeois de Bordeaux, demeurant dans la paroisse Saint-Projet du dit Bordeaux ; Dominique Delacostille, chirurgien, et Pierre Miqueau, clercq, habitant du dit Ludon, témoins à ce requis, aussi signé Pomies, sans préjudice des droits de padouentage que je me réserve, de Chevallier, P. Fau, Demaignon, A. Fau, Seguin, Marie Dutilh, Arnaud Renouil et Debourdeau, notaire royal. »

Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p.81-87 et 110, 119…