L’église de Ludon

Construite sur une route qui a dû être de tout temps un passage obligé entre le château d'Agassac, le château de Cantemerle et le bourg de Macau, à l'endroit le plus élevé du pays, qu'elle domine nettement du haut de son clocher, elle a été, comme les châteaux voisins, la sentinelle vigilante et la protectrice des habitants. Petite et modeste, au fond de son cimetière, avec son clocher à arcade qui n'était en somme qu'un simple mur percé de deux baies pour les cloches, dans le genre du clocher actuel de Labarde, elle a subi une transformation importante au cours du XVIe siècle. Léo Drouyn l'a visitée le 27 août 1870, et voici la description qu'il en donne dans ses notes archéologiques inédites : « La nef de l'église et les deux bas-côtés étaient romans et composés de trois travées divisées par des piliers ronds et carrés cantonnés de trois colonnes, le côté des collatéraux n'ayant qu'un pilastre plat. Ces colonnes, de hauteur inégale, reçoivent la retombée des arcs doubleaux et de ceux en plein ceintre sous lesquels on passait pour entrer dans les bas-côtés. Le chevet est droit, il remplace peut-être une ancienne abside semi-circulaire. La voûte de la nef est en briques et moderne, les collatéraux sont lambrissés. Le clocher sur la façade occidentale est du XVIe siècle ; il est muni d'un mâchicoulis au-dessus de la porte ; il est couvert d'ardoises et sa flèche est très mince et aiguë. »

Parmi les modifications que les clochers ont subies, il en est une qui est assez fréquente : elle consiste dans la transformation d'un clocher-arcade en une tour par l'addition de trois côtés. Les choses se sont passées de la sorte à Ludon.

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Cette modification du clocher est nettement du XVIe siècle. L'entrée de l'église, avec ses contreforts très puissants, a pris une allure imposante. Juste au-dessus de la porte est construit le mâchicoulis, encore en parfait état. Il suffirait de retirer les deux planches qui le ferment pour cribler de projectiles quiconque voudrait pénétrer dans le sanctuaire. C'est très certainement au moment des guerres de religion que les habitants de Ludon décidèrent de fortifier ainsi leur église en faisant de leur ancien clocher une tour redoutable. En effet, le Médoc ne fut malheureusement pas épargné par ces luttes abominables. Dès la seconde moitié du XVIe siècle, et pendant plus de soixante ans, les populations des campagnes souffrirent atrocement de la guerre civile. « Ce furent jusque dans les cantons écartés les églises attaquées et systématiquement détruites, le pays dévasté, les populations éperdues sonnant le tocsin à en briser les cloches et se réfugiant au sein de l'église » (Brutails, Les vieilles églises de la Gironde). C'est ce qui arriva notamment à Ludon en 1622 : la cloche fut brisée « par des individus sonnant le tocsin à cause des guerres et troubles contre ceux de la religion prétendue réformée ». Un arrêt du Parlement de Bordeaux, donné plus loin, en date du 17 septembre 1580, est très explicite à cet égard. L'église de Ludon a été complètement restaurée, à l'intérieur, en 1880, mais ses vieux murs extérieurs n'ont pas changé, sauf l'abside qui a été agrandie. Seule, une porte latérale au midi a été murée. On voit encore la croix de pierre qui la surmontait. Cette porte était dite de la palu, parce que les paroissiens qui arrivaient de ce quartier de Ludon laissaient leurs sabots crottés sur les gazons du cimetière et pénétraient dans l'église par cette porte. Tout autour de l'église était un petit cimetière clos de murs bas sur lesquels les gens s'asseyaient, devant le porche, le dimanche, à la sortie de la grand'messe, pour former l'assemblée de communauté. Le presbytère était une maison modeste, à la place de la mairie actuelle. Il y avait à l'intérieur de l'église, en plus du maître-autel, quatre autels particuliers : Notre-Dame, sainte Catherine, à la place de l'autel actuel de saint Joseph, saint Blaise et saint Antoine. Ces deux autels étaient dans la partie centrale de l'église, appuyés contre deux piliers.

Des réparations partielles de l'église ont été effectuées en 1863. Voici la relation qu'en donne le curé Dusolier dans son registre-journal de paroisse : « Vers la fin de l'année 1863 et dans le commencement de 1864, l'église a été blanchie, les sanctuaires de la Vierge et de sainte Catherine ont été élevés de manière que la table de communion, qui n'était que devant le grand autel, pût embrasser les trois et offrît plus de commodité pour distribuer aux fidèles la divine Eucharistie. C'est à cette époque qu'a été démolie une espèce de maçonnerie en forme de four placée au bas de l'église et au nord, servant de fonts baptismaux. Le confessionnal a été placé dans l'embrasure de la porte pour qu'il occupât moins d'espace, et une fenêtre a été ouverte au-dessus pour régulariser le nombre des croisées des bas-côtés. Les fonts baptismaux ont été établis contre le mur ouest de la façade de l'église. La cuvette en pierre de Rausan, style roman, est due à l'habile ciseau d'un ouvrier artiste de la paroisse, nommé Bracassac Pierre Lami. Enfin, cette même année, on a fait repeindre les portes intérieures et extérieures de l'église, chaire, lutrin, bancs de « Monsieur le Maire » et du « Conseil de fabrique ». Les fonts baptismaux étaient donc à l'endroit où se trouve maintenant le confessionnal. Ils étaient entourés d'une haute balustrade de bois que l'on voyait encore récemment dans les débarras du presbytère. Le banc s'étendait de chaque côté du crucifix, face à la chaire. Il y avait, au-dessus du sanctuaire, un clocheton dans lequel se trouvait une petite cloche. La vieille chaire en pierre fut démolie en 1875 (la chaire en bois qui lui succéda disparut elle-même en 1944 et fut remplacée par une nouvelle chaire en pierre, d'une forme particulièrement heureuse, qui est l'œuvre de l'architecte Henri Avinen). Le 22 août 1880, le conseil autorise le conseil de fabrique à entreprendre les travaux suivants à l'église : construction du sanctuaire et d'une sacristie, remplacement des lambris en bois par des voûtes. Le conseil demande à M. le Curé l'autorisation régulière de percer des ouvertures dans la partie supérieure nord de la salle communale.

1883. Les cérémonies du culte étaient célébrées dans la salle communale, depuis que l'église était en réparations. L'église fut rendue au culte, consolidée, restaurée et agrandie, le 4 novembre. Des voûtes élevées remplaçaient les lambris de bois ; des vitraux furent mis à la place des verrières ; une grande sacristie et un sanctuaire furent construits. Mais de grandes fautes furent commises au point de vue architectural. L'abside aurait dû être ronde et les ouvertures auraient dû être pratiquées latéralement et non derrière le maître autel. Il est à déplorer que le style de cette vieille église romane n'ait pas été respecté.

Le 22 mars 1885, achat d'une horloge pour le clocher.

Dans le grand sanctuaire, deux statues en bois de saint Jean et de saint Martin ont malheureusement disparu. Une fleur de lys formait la clef de voûte en face de l'autel de saint Joseph. Elle a été sottement enlevée comme emblème séditieux. Enfin, les armes des seigneurs d'Agassac étaient au dessus du maître-autel et à l'extérieur de l'édifice. Ces armes des Pomies étaient : d'or à un pommier arraché de sinople, fruité de champ, et sommé d'une colombe, le tronc traversé du nom de Jésus de sable.

Le sol de l'église était recouvert d'immenses dalles sous lesquelles on procéda à certaines sépultures à partir du XIVe siècle. Avant cette époque, les notables étaient inhumés dans de grands sarcophages en pierre qui remplaçaient les caveaux de famille actuels. Des fouilles, entreprises en 1933, ont permis de retrouver ces sarcophages et d'établir qu'ils étaient placés en couronne autour du sanctuaire. Malheureusement, aucun mobilier funéraire n'a été retrouvé à l'intérieur de ces tombeaux, aucune inscription n'a pu être relevée. Il est donc impossible de déterminer leur âge exact. Il n'a pas été possible non plus d'établir si l'église actuelle a été construite sur les ruines d'un monument plus ancien. Mais il y a tout lieu de penser que cette situation unique de l'église de Ludon, sur la « motte » la plus élevée du pays, avait déjà été utilisée pour un sanctuaire, peut-être un temple païen.

Une certitude est acquise dans tous les cas, c'est que, dès le XIe siècle, Ludon était habité et qu'une agglomération d'une certaine importance s'était constituée autour de son église.

Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p.30-33 et 205.

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Carnets du Médoc, Aquarelles et textes de Vincent Duval, Geste éditions, 2009, 166 pages.