Un dimanche à Magudas

 

Ce 8 janvier 1730, comme tous les dimanches, les paroissiens de Saint-Médard se retrouvent à l`église pour la messe dominicale. Il y a là Philippe Chapelle et Jean Lambert laboureurs à Magudas. À la sortie de l'église, Sarrauste, « secrétaire » du sieur Lassale de Ciron, seigneur de Gajac, les interpelle et leur dit qu'ils doivent effectuer des charrois pour leur seigneur, sinon il les rossera. Il menace même Lambert de le mettre en prison et lui donne un soufflet et un coup de pied dans le bas-ventre. Le vicaire le blâme. Lambert a peur de rentrer chez lui et se réfugie dans l’église où il passe une bonne partie de la journée.

 

Cette affaire des charrois est ancienne. L’ancien seigneur de Gajac, messire Bernard de Portepain de Lassale de Ciron, payait 40 sols chaque charroi ; Bernard Joseph, son fils, use de méthodes plus expéditives et refuse de payer partant du principe qu'une telle corvée « ne se refuse pas à son seigneur ». L'an dernier, il a même emprisonné Lambert pendant 24 heures dans son château. Depuis quelques jours, la pression se fait plus forte ; vendredi dernier, Lassale a ordonné au père de Pierre Saint Médard dit « Paigneau » de venir le lendemain faire un charroi. Ayant essuyé un refus, Lassale a envoyé Sarrauste et son équipe d'hommes de main pour conduire de force le père Saint Médard au château, ce fut un nouvel échec. Sur leur chemin, ils ont rencontré Jacques Pineau qui transportait du fumier à sa terre et lui ont fait promettre d'aller lundi faire un charroi ; il a fait cette promesse car il y a trois ans, alors qu'il était allé payer sa rente, il s'est retrouvé en prison sans savoir pourquoi.

 

À Magudas, dans l'après midi, chacun vaque à ses occupations ; Jean Laulan et quelques autres sont chez Taudin dit « Nauchon » qui tient cabaret, Raymond Dufour aide Philippe Chapelle, son beau-père, qui a égorge le cochon et s'affaire à sa préparation. Arrivent alors les « habillés de rouge » : Sarrauste, accompagné de trois hommes (tous armés de fusils) et d’un bouvier avec sa paire de bœufs. Ils se rendent chez Lambert, ont une « conversation » avec sa femme, prennent sa charrette et parlent vers Gajac. Au passage, Sarrauste prévient la femme de Chapelle : « demain, nous viendrons chercher votre charrette et nous ferons conduire votre mari en prison s'il ne veut pas faire des charrois pour Lassale ! »

 

L'alerte est vite donnée, les hommes du village (10 à 50 selon les sources) se portent au devant de l’attelage et tentent de l'arrêter. Antoine Bondon surnommé « le Tignoux » et Bernard Jaudeau sont au premier rang ; la discussion tourne court, on en vient aux mains, un homme de Gajac tire un coup de fusil sur Jaudeau, mais le feu ne prend qu’au bassinet, il prend alors le fusil par le canon et casse la crosse sur la tête de Jaudeau. Un autre coup de feu atteint Bondon à la cuisse. Les blessés sont transportés sur une civière chez Philippe Chapelle où ils reçoivent les premiers soins.

 

Antoine Bondon étant le plus gravement touché est transporté à l'hôpital Saint-André de Bordeaux où Larrieu, chirurgien royal, constate « une plaie contuse avec escarres à la partie inférieure interne de la cuisse gauche, de forme irrégulière, de la taille d'un écu de six livres, laquelle plaie nous jugeons avoir été faite par un coup d'arme à feu chargée de grenaille ou grains de plomb ». Jaudeau quant à lui s'est transporté chez Lamontaigne, chirurgien juré royal, qui a constaté « une plaie d'un travers de pouce de long pénétrant jusqu'au péricrâne ».

 

Comme il se doit, la version des hommes de Lassale de Ciron est toute autre : alors qu'ils étaient allés « inviter Lambert à faire un charroi pour 4 livres ainsi qu'on avait payé les jours précédents d'autres bouviers pour semblables charrois », ils ont été « excédés et meurtris par une troupe de paysans et sont alités en danger de mort au château de Gajac ». Le chirurgien qui les visite leur a même prescrit une saignée. Ils décrivent l’attaque des hommes de Magudas armés de grosses barres de fayssonats et encouragés par les femmes.

 

Texte rédigé à partir des procédures de la Prévôté d'Eysines conservées aux Archives départementales de la Gironde (12B507). Une recherche plus approfondie permettrait peut-être de connaître les résultats du procès (Sentences : 12B12).