L’impôt sur les portes et fenêtres 

 

C’est un impôt différent de celui sur le revenu, en ce sens qu’il est lié à la richesse des contribuables et qu’il est incontestable (on ne peut pas le minorer, comme pour les revenus…)

Sa forme historique le plus souvent évoquée est l'impôt sur les portes et les fenêtres.

Tout commence pour lui avec la Révolution française. Les États généraux sont convoqués en mai 1789 afin de remettre à plat la fiscalité. S'étant proclamés constituants, leurs membres suppriment les impôts en juin 1789 pour les remplacer par des « contributions », cette désignation symbolisant l'acceptation naturelle et voulue par la population des nouveaux prélèvements.

La structure de ces contributions s'inspire des travaux des économistes de référence de l'époque que sont les physiocrates. Ceux-ci défendent le principe d'une fiscalité sur le patrimoine, essentiellement le patrimoine foncier. Leur idée est que l'impôt doit pousser les propriétaires à valoriser leurs biens. Selon eux, la propriété est un droit, mais un droit qui implique des devoirs, et un moyen d'incitation à la réalisation de ces devoirs est l'impôt ; avec ce défaut que l'impôt foncier frappe surtout les campagnes. Pour toucher la propriété urbaine, il faut élargir l'assiette de référence aux habitations. On peut dès lors concevoir un impôt déclaratif où l'on demanderait aux propriétaires combien vaut leur maison (c'est la logique de notre impôt de solidarité sur la fortune). On peut chercher des caractéristiques donnant une idée de la taille de la maison, celles-ci servant à établir une estimation acceptable de sa valeur. Emportés par la tourmente révolutionnaire, les dirigeants du pays laissent en plan le débat qui' refait surface sous le Directoire. En 1798, Dominique Ramel (1760-1829), le ministre des finances, crée un impôt indiciaire sur la propriété immobilière. Il retient comme indice le nombre de portes et de fenêtres.

Ramel est un de ces personnages en apparence secondaires de la Révolution qui ont joué un rôle déterminant. En 1789, il est élu député du Tiers-État par Carcassonne. Comme il y a un autre Ramel à l’Assemblée, on l’appelle Ramel de Nogaret. C’est sous ce nom qu’il revient à la Convention en député de l’Aude. En février 1796, il devient ministre des finances, poste qu’il occupe jusqu’en juillet 1799. Sa première tâche est d'arrêter l'inflation. Commencée en décembre 1789, l'émission d'assignats est devenue le moyen quasi exclusif de financement de l'État. L'inflation qui en découle est délirante. Ramel met un terme à leur émission. Puis, après le coup d'État du 18 fructidor an V (septembre 1797), il annule deux tiers de la dette de l'État. Il accompagne cette banqueroute d'un plan d'austérité. En fait, ce plan ne sera pas vraiment appliqué, et il n'en subsistera in fine que la création en novembre 1798 de l'impôt sur les portes et les fenêtres. Celui-ci a une double légitimité. En cette fin de Révolution où la Rome antique est sans cesse invoquée, Ramel se réfère à l'ostiarium. Il s'agit d'un impôt créé sous Jules-César portant sur la taille des portes et le nombre de colonnes des façades, les portes et les colonnes étant considérées comme des marques de luxe.

Ramel évoque aussi la tradition britannique qui créa à la fin du 17e siècle un impôt sur les fenêtres. Le nouvel impôt a surtout les avantages traditionnels d'un impôt indiciaire : il est facile à calculer et à percevoir ; il est prévisible pour le contribuable et pour le fisc. Toutefois, les dirigeants, doutant de sa pertinence, lui redonnent au départ le nom ancien d' « impôt » et non pas de contribution, et le présentent comme provisoire. Pourtant, il va perdurer et prospérer. Il se répand au gré des victoires de Napoléon. Et en 1815, malgré la défaite française, il reste la base des fiscalités des États qui renaissent sur les décombres de l'Empire. Ses ennemis mettent en avant le sort pathétique des familles suffoquant dans l'air vicié des maisons sans fenêtres. Le rachitisme, dont l’origine est le manque de soleil reçoit d'ailleurs dans les années 1810 le nom de « mal anglais » à la suite d'une hausse de l'impôt sur les fenêtres, décidée à Londres. Les architectes ajoutent à cette dénonciation l'accusation de défigurer les façades. En particulier, comme les fenêtres à meneaux comptent pour quatre fenêtres, celles-ci sont systématiquement détruites. Les Pays-Bas essaient de contourner ces critiques et, libérés de la domination française, lui substituent un impôt sur les cheminées facile à calculer : l'agent impérial français qui comptait depuis la rue les portes et les fenêtres se reconvertit en agent du fisc royal néerlandais comptant avec tout autant de facilité les cheminées sur les toits. La réduction de leur nombre chez ceux qui veulent réduire leur ardoise fiscale a pour conséquence de limiter le chauffage, c'est-à-dire de limiter la consommation de bois et de préserver la forêt : la défense de l’environnement déjà très à la mode à l'époque romantique, garantit la survie de cet avatar d'impôt indiciaire sur l’immobilier. Il n'empêche que les impôts sur les portes ou sur les fenêtres suscitent une forte hostilité.

Le Royaume-Uni supprime le sien en 1851. En France, dès les débuts de la 3e République, sa disparition est à l'ordre du jour. L'Espagne le supprimant en 1910, la France est le dernier pays à le percevoir. Après 1914, il ne subsiste plus que comme impôt local. En 1926, le Cartel des gauches met un terme à son existence. Pourtant, certains ont considéré récemment encore que des pays en mal de rentrées fiscales comme la Grèce pourraient revenir pour quelque temps à l'héritage de Ramel, sans attendre pour autant la banqueroute.

Article du journal Le Monde, 15 mars 2014, Jean-Marc Daniel, professeur à l'ESCP-Europe.