Les travailleurs indochinois 

Immigrés malgré eux : plus de 2 000 Indochinois ont été forcés à venir travailler dès 1939, notamment à la poudrerie, dans des conditions extrêmement dures. Les recherches de Nicolas Ông ont fait revivre le souvenir des trois camps de travailleurs indochinois en Gironde : Cazaux, Saint-Médard-en-Jalles et Eysines.

« Il doit rester des documents à la Société nationale des poudres et des explosifs (SNPE), à Saint-Médard-en-Jalles, dans d'autres entreprises de Gironde ou aux archives départementales. Toutes les pièces n'ont pas été classées. Sans compter celles qui subsistent chez des particuliers ou les témoignages qui restent à recueillir. » Inlassablement, Nicolas Ông poursuit ses recherches sur les travailleurs vietnamiens dans le département entre 1939 et 1952. Ceux que le journaliste Pierre Daum a qualifiés d'« Immigrés de force » dans son ouvrage du même nom (Actes Sud). En Gironde, ils ont été entre 2 000 et 2 600, chiffre encore flou, répartis entre trois camps à Saint-Médard-en-Jalles, Eysines et La Teste-de-Buch. À Cazaux, plus précisément. Nicolas Ông a évoqué leur souvenir l'an dernier, lors d'interventions accompagnant la projection du film « Công binh, la longue nuit indochinoise » dans une petite dizaine de communes. « Beaucoup de familles se sont retrouvées dans ce documentaire qui avait été primé au festival du film d'histoire de Pessac. Elles m'ont contacté (Contact : 06 79 82 07 60 - Internet : www.travailleurs-indochinois.org). Les recherches sont difficiles mais elles progressent. »

Retour en 1939 : avec le départ de ses soldats pour le front, la France a besoin de main-d'œuvre dans ses usines et se penche, comme elle l'avait déjà fait en 1914-1918, vers ses colonies. Le problème, c'est que 5 % seulement des Indochinois sollicités se portent volontaires. L'administration française oblige alors les chefs de villages à livrer des travailleurs sous peine d'amendes ou de prison.

« Certains de ces hommes, souvent jeunes et illettrés, ont été déplacés manu militari », raconte Nicolas Ông, lui-même petit-fils d'un de ces travailleurs forcés. « Ils passaient de trois semaines à deux mois dans des camps militaires, soumis à une discipline stricte, avec des sanctions physiques, avant d'être emmenés en France en bateau. À fond de cale, dans des conditions d'hygiène déplorables. »

Sur ces 20 000 Indochinois, un dixième grosso modo sera acheminé vers la Gironde. Entre 600 et 1 000 séjourneront dans ce qu'on appelait « le camp des Annamites », sur l'actuel emplacement du stade de football, rue Georges-Clemenceau à Saint-Médard-en-Jalles. « Mais entre 1 500 et 2 000 transiteront par ce camp avant d'être envoyés ailleurs. »

À l'hiver 1942 ou 1943, le camp est fermé. Cette main-d'œuvre, employée principalement à la poudrerie, est relogée au camp de Gajac, l'actuel centre commercial Leclerc, jusqu'en 1950.

À Cazaux, c'est après les bombardements de la base aérienne et son évacuation par les Allemands en août 1944 que 120 Indochinois, au moins, sont affectés à sa reconstruction. « Ils ont ensuite assuré des travaux de nettoyage ou de cuisine. Leur campement était situé entre le 26 et le 28 de la rue Edmond-Doré, dans le prolongement de la rue Guynemer. »

indichinois

À Eysines, ils sont près de 400, à partir de novembre 1945, à s'installer dans un camp situé entre les rues de la Marne, du Dées, du Vignan et Aladin-Miqueau, qui avait reçu auparavant toutes sortes de prisonniers de guerre. Leurs employeurs ? « Le Port autonome, la poudrerie ou diverses entreprises de Bordeaux ou de Bègles. » Ils évacueront cependant, fin décembre 1947, des lieux jugés insalubres par la préfecture. Car les conditions de vie étaient très dures. « Ils dormaient sur des planches en bois, au milieu des parasites, dans des locaux mal chauffés, par des températures qu'ils n'avaient jamais connues au Vietnam. Beaucoup sont morts de tuberculose. Ceux qui travaillaient à la poudrerie, sans gants ni masques, ont été nombreux à souffrir de problèmes pulmonaires. Sans parler des morts par explosion. » Leur rémunération est en rapport : « Un franc par jour quand un ouvrier français en gagnait dix. »

Cette inégalité perdurera même après que la majorité furent rentrés dans leur pays, entre 1950 et 1952. « En 1914-1918, ceux qu'on appelait les Annamites dépendaient du ministère de la Guerre. Ils avaient tous un matricule qui permettait à l'administration de suivre les situations individuelles et de verser des pensions une fois le conflit terminé.

En 1939-1945, ils dépendaient de la MOI, la Main d'œuvre immigrée, une administration qui fonctionnait par listes impersonnelles. Seuls les Vietnamiens qui ont travaillé pour des entreprises privées et après-guerre ont été déclarés et ont pu ouvrir un droit à la retraite. »

Et seulement les 1 000 à 1 500 qui sont restés en France. « L'administration française a bien versé des retraites au Vietnam mais soit les sommes ont été détournées par l'administration du gouvernement sud-vietnamien, soit on a demandé aux travailleurs partis en France de fournir des documents qu'ils n'avaient plus. Beaucoup les avaient détruits en rentrant chez eux, où ils étaient considérés comme des traîtres alors que la guerre d'Indochine commençait… »

Article du journal Sud-ouest du 26 août 2014, Christophe Loubes.

Ces ouvriers qui venaient d’Indochine 

La vie de ces travailleurs indochinois réquisitionnés par le gouvernement français pendant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la Main-d'œuvre indigène (MOI) concerne tout particulièrement Nicolas Ông puisque son grand-père paternel en faisait partie. « Ces hommes étaient envoyés en France pour suppléer à l'absence de ceux qui étaient partis au front. Mon grand-père, qui était instituteur, est arrivé en 1940, à l'âge de 26 ans. Comme il parlait français, il a été employé comme interprète » explique l'élu eysinais. « Je ne l'ai pas connu. Mais je sais qu'il a fait sa vie en France, qu'il s'est marié avec une Bretonne et qu'il est décédé en 1988 à Paris après une carrière en tant qu'expert-comptable dans une compagne d'assurances. Je pense que mon grand-père est passé par Eysines, par le camp qui accueillait des travailleurs indochinois dans le secteur du cimetière actuel. Là, ils étaient environ 400. Ils travaillaient chez les maraîchers ou encore pour le Port autonome. Le camp a été fermé par le préfet pour cause d'insalubrité à la fin de l'année 1947. On comptait environ 1 800 ouvriers dans le camp de Saint-Médard. Ils étaient principalement employés à la poudrerie. Et environ 200 à Cazeaux. Je crois qu'un millier d'entre eux est resté en France ».

Cette exposition composée de textes, de photos et de documents (sur une vingtaine de tableaux) a été conçue par l'Association Histoires vietnamiennes, basée à Montpellier. « Elle tourne sur le territoire depuis plus de deux ans et c'est la première fois qu'elle vient en Gironde » indique Nicolas Ông. Après avoir présenté différents documents consacrés à la Première Guerre mondiale (Eysines 1914), la grande salle située à l'étage de la médiathèque, au centre culturel du Plateau, semble abonnée aux rétrospectives historiques ; elle accueille en décembre 2014 une exposition itinérante sur « les travailleurs indochinois de la Seconde Guerre mondiale ».

Extraits de l’article du journal Sud-ouest du 1 décembre 2014, Christine Morice.

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