La famille Duchesne

Le premier des Duchesne qui vint à Paris pour s'y établir était né en 1437 ; il était originaire du Berry. Dans les provinces françaises, les archives furent bouleversées et souvent brûlées au moment de la grande Révolution, beaucoup moins par simple plaisir de pillage que dans le but précis de faire disparaître les titres de propriété et les origines des privilèges. Il n'en fut pas de même à Paris, où les mêmes causes n'existaient pas et où la bourgeoisie parisienne s'y opposa toujours par son organisation de défense de l'ordre. C'est ainsi que la famille Duchesne perd la trace de l'ascendance de son premier ancêtre connu, mais qu'elle possède, par les registres paroissiaux parisiens et par les différents actes officiels les concernant, les renseignements les plus précis sur ses descendants. Les annales familiales relatent simplement que Louis Duchesne, noble bourgeois de Paris (Charles V, par édit de 1371, accorda la noblesse aux Bourgeois de Paris. Cette noblesse consistait dans l'affranchissement des servitudes féodales; d'où il est résulté cette maxime des jurisconsultes : « En la noble Ville de Paris, tous sont beourgeois et n'y a gens de poste », et à cause de cette noblesse, tous bourgeois de ladite ville sont en la sauvegarde du Roi. Cette noblesse fut confirmée par les Rois Charles VI, Louis XI, François 1er et Henri II. Elle fut supprimée par Henri III en 1577. Dulaure, Histoire de Paris), vint en cette ville à cheval, « son père lui ayant appris à travailler le fer et à manier l'espée, non pour attaquer, mais pour se défendre ». Tout permet de croire que la famille Duchesne vivait auprès de la cour du « Roi de Bourges » et que ce fut le départ de cette cour à la suite glorieuse de Jeanne d'Arc qui incita le fils aîné à la suivre à Paris pour continuer à servir son Roy par son travail, ce qui devait durer jusqu'à la Révolution.

Détail curieux : le descendant de ce Duchesne vivant sous Louis XV devait épouser à cette époque une descendante de la famille d'Arc du Lys, en la personne de Luce Menjaud. Louis Duchesne s'installa dans une maison située à l'angle de la rue du Roi de Sicile et de la rue Pavée, qu'il loua par bail amphythéotique de 99 ans ; le bail fut renouvelé trois fois avant que les Duchesne ne devinssent possesseurs de l'immeuble. Sa situation, en plein quartier du Marais, très rapprochée de l'habitation royale, qui était alors le Palais des Tournelles (le logis du Roy), la fit environner des plus beaux hôtels construits dès cette époque et surtout depuis que le Palais des Tournelles, détruit par ordre de Charles IX, sur le désir de sa mère, Catherine de Médicis, devint la Place Royale (des Vosges), séjour le plus recherché jusqu'à la fin du règne de Louis XIV et même plus tard.

La maison des Duchesne portait une enseigne qui était formée de la lettre L surmontée d'une couronne que Louis avait fait mettre en l'honneur de l'avènement du Roi Louis XI, ce qui dénote son attachement à la famille royale. Cette maison était mitoyenne, par le jardin, avec l'hôtel du Duc de La Force, qui avait appartenu aux rois de Navarre. C'était un des hôtels les plus puissants de ce quartier, mais dont l'aspect était assez rébarbatif.

Famille d'artistes dans leur art de « serrurerie » (les statuts des serruriers dataient de l411, sous le règne de Charles VI. Confirmés par François Ier et par Louis XIV, les lettres patentes furent enregistrées au Parlement en 1652. On sait que cette profession jouissait d'une considération particulière sous l'ancien régime, de telle sorte que, lorsque Louis XVI voulut apprendre un métier, il choisit la serrurerie. Les crémones des fenêtres de la chambre de Marie-Antoinette, au château de Fontainebleau, ont été forgées de ses mains royales), les successeurs de Louis Duchesne, les aînés des fils, se distinguèrent dans l'industrie du fer et de la ferronnerie d'art, tandis que les cadets s'établissaient également, dans des professions similaires, dans d'autres branches des arts.

Louis Duchesne mourut en 1494 ; les registres de l'église Saint-Paul, paroisse de la famille, indiquent les dates suivantes sur sa descendance : Jacques Duchesne (1469-1550) Guillaume, né en 1502, marié en 1529 ; François, né en 1535, marié en 1564 ; Jean (1569-1638).

Nous savons qu'en dehors de leurs travaux de ferronnerie dans les hôtels construits à leur époque, leur culture artistique et littéraire était assez poussée, car ils connaissaient l'écriture gothique, et leur bibliothèque renfermait les œuvres de Gui du Faur, seigneur de Pibrac ; la traduction par Amyot des « Hommes illustres » de Plutarque ; les « Essais » de Montaigne, etc.

Denis Duchesne (1607-1678) succéda à son père et devint serrurier ordinaire du roi, ce qui correspond à peu près au brevet de Gouvernement actuel, mais comportait cependant plus d'avantages (le brevet de serrurier ordinaire du roi, sur parchemin, daté du 15 janvier 1656, accordé « sur le rapport qui a été fait de la personne de Denis Duchesne et de l'expérience qu'il s'est acquise en son art », signé de la main de Louis XIV, est entre nos mains. II est contresigné par de Guénégaud). Il devint propriétaire de la maison de la rue du Roi de Sicile et acquit une maison de campagne et son jardin à Charonne, dans le Faubourg Saint-Antoine. Cela lui permit d'y établir un deuxième atelier où il pouvait faire exécuter, avec plus de facilité, les conceptions de ses décorations en ferronnerie. Son cousin germain, peintre de Marie de Médicis, avait été élève de Fréminet et avait fait travailler sous ses ordres Le Poussin et Philippe de Champaigne, quand la reine avait voulu faire refaire les décorations intérieures de son Palais du Luxembourg. Denis avait hérité du talent de dessinateur de son père dont les dessins et les grilles de chapelle avaient été très admirés par les connaisseurs. Il s'attacha fort à Philippe de Champaigne et fit ses premières études et dessins sous sa direction. Philippe de Champaigne devint lui-même son cousin en épousant la fille de Duchesne, le peintre de Marie de Médicis, à qui il succéda dans ses fonctions de peintre de la Reine ; il vécut très intimement avec Denis Duchesne qui profita également des avis de ses amis, François et Jules Hardouin-Mansart, Jacques de Brosse, l'architecte du Luxembourg ; l'architecte François Le Vau, et de Guénégaud, ministre d'État. La mort de ses amis, Philippe de Champaigne en 1674 (les peintures de Ph. de Champaigne, représentant des portraits de famille, ont été perdues ; il est certain que, dans ses œuvres, comme l' « Invention de Saint-Gervais », les traits de ses proches sont reproduits, notamment ceux de sa fille, très reconnaissables. Cette fille se fit religieuse à Port-Royal et Philippe se retira presque complètement auprès de Messieurs de Port-Royal. II reste, en dehors de ses œuvres les plus connues, les portraits de Lemaître de Sacy, le Grand Arnaud, la mère Angélique avec sa fille religieuse, et un portrait de sa fille seule, très remarquable, après le miracle dont elle fut l'objet), François Le Vau en 1675, et surtout celle de Guénégaud en 1676, hâta sa propre fin en 1678. Il fut inhumé à Saint-Paul. Parmi les nombreux travaux exécutés dans les ateliers de Denis Duchesne, nous citerons simplement quelques-uns des plus remarquables : la chaire de l'église professe des Jésuites (faite avec François Laurin, son beau-père) ; la balustrade de l'église des Jésuites ; les grilles de fer de la statue équestre de Louis XIII, élevée place Royale et payée par Richelieu ; les balcons du Louvre ; les belles grilles du château de Maisons, et notamment la grille à deux vanteaux placée à l'entrée du vestibule. Denis Duchesne était, en 1668, dizenier de la Ville de Paris au quartier Saint-Antoine de Saint-Philippe-l'Evêque ; il était aussi quartenier (les quarteniers étaient des officiers d'épée plutôt que de robe. Ils avaient

certaines fonctions de police, mais étaient pour ainsi dire les colonels de leur quartier, dont ils commandaient la milice bourgeoise, du temps que les Parisiens étaient armés et se gardaient eux-mêmes. Il y avait à Paris 16 quarteniers, un par quartier) en icelle et avait un droit de commitimus en sa faveur (le droit de commitimus était un droit de chancellerie. Il donnait droit à l'usage du petit sceau, comme l'avaient le Président des Marchands, les Échevins pendant leur charge, le Procureur du Roy, le Colonel des Archers de la Ville).

Son fils, Antoine Duchesne, né en 1654, lui succéda et fut le dernier « serrurier ordinaire du Roy ». Il décéda en 1728. Le fils d'Antoine mourut sans postérité un an après lui et ce fut son frère puîné, Nicolas, qui devint le chef de la famille.

Nicolas Duchesne (1663-1748) servit d'abord aux Carabiniers, sous le Duc d'Harcourt, puis entra dans le Régiment très difficile d'accès des gardes du corps et s'y distingua au point que, lorsqu'il le quitta, le roi Louis XIV créa pour lui la charge de « Prévost des Bâtiments du Roi ». Cette fonction avait beaucoup d'analogie, sans la remplacer, avec celle d' « Inspecteur Général des Bâtiments ». Elle était agréable, parce que son titulaire vivait à la cour et approchait fréquemment le Roi. Elle était aussi très importante parce que le Prévost des Bâtiments était forcément en relations avec les différents artistes et leur servait d'intermédiaire auprès des Princes. Nicolas Duchesne mourut en 1748.

Son fils, Antoine Duchesne (1708-1795), lui succéda dans ses fonctions et fut, comme lui, peintre et architecte. Cette charge de « Prévost des Bâtiments du Roi », qui resta près d’un siècle dans la famille des Duchesne, sous les rois Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, ne fut remplie que par eux ; la Révolution l'emporta avec toute l'organisation de la maison du roi.

La correspondance du peintre Natoire, directeur de l'École des Beaux-arts à Rome, avec Antoine Duchesne, de 1751 à 1761, a été publiée en 1852 dans les Archives de l'Art Français. Antoine Duchesne, devenu veuf à la naissance de son fils, Antoine-Nicolas, en 1747, se consacra à l'éducation de son fils avec lequel il fit des voyages à Compiègne, Fontainebleau, au Havre, à Reims. Ce dernier nous en a laissé la relation. Il assista notamment au sacre de Louis XVI. Antoine Duchesne mourut en 1795, après avoir vu sa charge détruite. Antoine-Nicolas Duchesne (1747-1827) fut un naturaliste et surtout un horticulteur distingué. La place qu'occupait son père dans la maison du Roi, place à laquelle il fut lui-même adjoint pendant quelques années, lui permit de cultiver ses goûts pour la botanique. Il pouvait ainsi faire des expériences, en compagnie de Bernard de Jussieu, dans les jardins de Trianon, sur lesquels son père exerçait son inspection administrative. Il publia, en 1766, « L'Histoire Naturelle des Fraisiers », puis successivement « Les Considérations sur la Formation des jardins », après un voyage d'études en Angleterre, « Le Jardinier prévoyant» et le « Portefeuille des enfants ». Quand la Révolution éclata, il fut nommé professeur d'Histoire naturelle à l'École Centrale de Versailles, puis au Prytanée de Saint-Cyr, et enfin censeur au Lycée de Versailles. Il mourut en 1827, ayant vécu des jours bien agités et parfois rendus difficiles par la perte du patrimoine paternel et une nombreuse famille à élever.

Son fils, Jean Duchesne (1779-1855), après une éducation très mouvementée due aux événements, entre, dès l'âge de 16 ans, au Cabinet des Estampes. Cet établissement, dont l'origine remonte à Colbert, formait un département de la bibliothèque du Roi, déjà fort importante à la fin du XVIIIème siècle. On estime que ses collections se composaient, en 1795, de 3 000 portefeuilles comprenant près de 400 000 estampes. On peut dire que Jean Duchesne a consacré tonte sa vie à la grande cause de l'assemblage et du classement des gravures de ce Musée, un des plus riches du monde entier. Dès 1819, il publia : « Notice des Estampes exposés à la bibliothèque du Roi », formant un aperçu historique des produits de la Gravure. En 1824, il fut chargé de visiter les collections les plus célèbres d'estampes en Angleterre, en Allemagne et en Hollande. Il publia à son retour : « Voyage d'un iconophile », puis, en 1826, le premier volume d'une histoire des origines de la Gravure, sous le titre :

« Essais sur les Nielles », gravures des orfèvres florentins du XVème siècle. Jean Duchesne fut nommé, en 1839, conservateur en chef du Cabinet des Estampes à la Bibliothèque royale. Jusqu'à sa mort, survenue en 1855, il participa à toutes les publications et expositions concernant les Estampes ; il donna notamment : « Notice des Estampes exposées à la bibliothèque du Roi » ; « Le Museum ou Collection de Tableaux de toutes les Écoles » ; « Chefs-d’œuvre de l'École Française sous l'Empire de Napoléon ». Enfin, il a laissé une œuvre originale, « L'Histoire des Cartes à jouer ».

Alexandre Duchesne (1802-1869). Fils du précédent, vécut d'abord à Paris et se destina à la peinture. Il fut, avec Montfort, un des élèves favoris d'Horace Vernet. En 1828, il accompagna Champollion dans son voyage en Egypte. Il nous a donné, dans sa correspondance avec son père, ses impressions sur les Pyramides, sur les Turcs et sur l'explorateur lui-même, qui était plus un savant qu'un chef de mission. Après la Révolution de 1848, Alexandre Duchesne, chargé de famille, vint s'établir en Médoc où il acheta le château de Sénéjac, dans la commune du Pian, qu'il ne conserva que peu d'années. Il acquit en 1856, de M. de Bethmann, le domaine de Lafont, à Ludon, où il vécut avec ses huit enfants. Il mourut à Paris en 1869. Son fils aîné, Gaétan, conserva le domaine de Lafont ; son second fils, Georges, se rendit acquéreur du château d'Arche, à Ludon, en 1890.

Paul Duchesne, La chronique de Ludon en Médoc, Rousseau frères, Bordeaux, 1960, p.133-138.