Le curé Saladin

 

 

Sur un tableau, accroché au mur, à l'intérieur de l'église de Macau, on peut lire la liste des curés de la paroisse. Elle commence à la Révolution.

Qu'est-il arrivé au curé Robert, prêtre en 1783...?

Puis on lit : Saussans 1801-1818

Arnaud 1818-1820

Coudelong 1820-1822

Ivesson 1822-1826

Labrouche 1834-1837

Faure 1837-1838

Baillaud 1838-1860 : il a assisté au banquet offert en l'honneur du Duc d'Aumale à Gironville

Perrin 1860-1862

Laliman 1862-1893 : on trouve son nom dans la souscription faite en 1875 pour la réédition des œuvres de l'abbé Baurein

Saladin 1893-1911

Charzat 1911-1928

Haramboure 1928-1953

Gonzalès 1954-2009

[Taillard 2009-   , curé de Ludon également]

Le curé Saladin a laissé un souvenir encore vivace. Il était chanoine, riche et mondain. Il possédait une grande villa à Soulac, tout près de la mer, elle s'appelait « Francia ». Il aimait recevoir, on dégustait d'excellentes bouteilles, et on fumait de gros cigares. Il allait chercher

à la gare avec sa charrette anglaise le grand rabbin de Bordeaux... un juif. Puis, M. Closmann arrivait dans son carrosse citron tout capitonné de satin bleu pâle suivi d'une partie de sa meute et de son sanglier… un protestant. Aux bigotes scandalisées qui lui en faisaient le reproche, il répondait : « Puisque nous ne nous verrons pas au ciel, nous nous réunissons sur la terre ».

Le chanoine Saladin avait l'art d'organiser les fêtes. Chaque jour au mois de mai, deux fillettes venaient offrir à la Vierge une grande couronne de fleurs odorantes que le prêtre suspendait au tabernacle. Le jour de la Pentecôte, il fallait au curé Saladin des roses, beaucoup de roses. Une grande corbeille très haute était installée près de l'autel. Chacun venait y déposer l'offrande de son jardin. L'officiant les bénissait, puis quatre jolies filles prenaient ces roses et les distribuaient aux personnes présentes dans l'église. Alors, le curé Saladin s'installait dans un fauteuil face à la tribune et il écoutait religieusement des chants pieux. Une jeune cantatrice avait une voix au registre si élevé qu'il l'appelait « son rossignol ». M. André Tabuteau tenait les orgues.

Chaque année, pour célébrer la Fête-Dieu, les maisons de Macau dès le matin se couvraient de draps blancs, les rues étaient jonchées de fleurs, de fougères, de fenouil, on faisait deux reposoirs : un au bout du bourg, l'autre à la porte arrière de la cure. Une magnifique procession débouchait de l'église. Croix en tête, suivaient enfants de chœur, communiantes, jeunes filles portant sur des brancards la Vierge et des saints. Les prêtres, entre autres, le curé Guillaud, l'abbé Rattier, portaient l'ostensoir sous le dais rutilant de ses soieries et de ses ors. Quand le Maire a interdit la procession dans les rues, elle s'est faite autour du château Gironville. Pour la Saint-Roch, c'est-à-dire le 16 août, c'était la Bénédiction des chevaux. Quel branle-bas dans le village ! Les chevaux arrivaient de partout. Après avoir astiqué et lustré le poil de sa bête, la crinière et la queue ornées de rubans de couleurs, chaque charretier arrivait sur son cheval de labour. Parfois, un cheval traînait une lourde charrette vernie fabriquée par la famille Delétan, charrons de père en fils. On admirait les harnachements. Lamouroux et Rochette étaient nos bourreliers. Les colliers de cuir fauve étaient garnis de liserés verts et orangés et constellés de clous dorés.

Enfin, arrivaient les coupés et les calèches avec leurs cochers raides et solennels. Les attelages des Dubos, Bellemer, Cambour, Bacon de la Vergne, des Lalande, du marquis de la Carbonnière, des Miailhes, de Mlle Solbert. Une seule amazone : Mme Charlotte Dubos. Gracieuse, Mme la Générale du Preuil descendait furtivement de sa voiture pour aller faire ses dévotions, tandis que M. de Georges, sa mère et sa femme, dans leur carriole découverte, étaient aussi majestueux que s'ils allaient à la cour du tzar. À cette époque, M. de Georges tenait « Les Chandelles de Russie ».

Quand M. Saladin a senti sa fin proche, il lui a fallu un ultime décor. Dans sa chambre parée de fleurs, l'abbé Ratier lui a donné l'extrême-onction tandis que deux petites filles tenaient les cierges. Elles avaient 5 ans, chérissaient leur vieux voisin. Elles ne le quittaient pas des yeux ; on leur avait dit qu'il allait monter au ciel. Le curé Saladin est mort à Macau en mars 1911, il repose au cimetière de Soulac.

Extrait de Macau et quelques uns de ses enfants. Macaou e caouque-zun dé sous gouillats.

Mme H. M. Duviller, 1985.