La place du clergé après la Révolution 

Evitant de se mêler des affaires temporelles de la commune, les curés ont toujours été en relation avec les élus et, si leurs rapports ont connu quelques ombres, ils ont été, en général, excellents.

Après la Révolution, où beaucoup de prêtres ont disparu, le Père Linars, ancien curé de Saint-Aubin jusqu'en 1785, puis curé de Saint-Médard, y reprend son ministère tandis que notre église est classée chapelle vicariale. Jusqu'en 1846, le Conseil ne cessera de demander à l'archevêque, au préfet, au ministre des Cultes, d'ériger la chapelle en « succursale de plein exercice ». Leurs préoccupations affichées étaient d'ordre spirituel, mais connaissant nos ancêtres, on peut penser qu'il s'y mêlait quelque intérêt matériel. Car, un vicaire chapelain était payé par la commune, tandis que le curé résidant d'une paroisse ayant le statut de succursale était payé par l'Etat. Le Conseil n'y ajoutait qu'un petit supplément pour lui assurer un salaire décent. Lisons plutôt la délibération : « le grand désir de la population serait d'avoir un prêtre desservant pour dire la messe tous les jours de dimanche et fêtes dans l'église ».

L'intérim est assuré par le Père Nivard, trappiste, qui reçoit 400 F par an pour cela, mais qui n'en a pas réellement besoin. Il administre les biens de son monastère au château Lassalle et siège à ce titre au conseil municipal comme l'un des dix principaux contribuables de la commune. Tout le monde est satisfait de ses services et de ses tarifs jusqu'en 1838, date à laquelle il doit quitter la paroisse. Dans une nouvelle réclamation, on fait valoir que Segonnes et Hourton sont éloignés de l'église de Saint-Médard, la plus proche, de plus de deux lieues par des routes sablonneuses et difficiles. Sans succès !

En 1846, on n'a plus de grands pins à vendre, donc plus de ressources. On constate qu'il n'est plus possible de donner 500 F par an à un vicaire: « En conséquence le conseil considérant

1) que la population habituée depuis plusieurs années aux bienfaits du culte ne saurait en être brusquement privée surtout lorsque les distances et les difficultés des chemins ne lui permettaient pas de se porter dans la paroisse la plus proche qui est celle de Saint-Médard,

2) que d'ailleurs cette population pauvre est hors d'état d'assumer la charge de ce supplément par voie de souscription ou autrement, délibère à l'unanimité qu'il y a urgence à supplier Mgr l'archevêque de vouloir bien présenter l'église aux prochaines érections en succursales afin que les sacrifices que la commune s'est imposée pour restaurer son église et racheter le presbytère ne soient point perdus et que le bienfait du culte lui soit assuré pour l'avenir ». Même lorsque le desservant n'était qu'un chapelain, on décida de le loger au presbytère « pour ne pas négliger le service religieux ». Le premier curé en titre fut M. Bardin. Il semble avoir joui de l'amitié et de l'estime de ses paroissiens. Nommé membre de la commission de secours aux indigents, il y resta jusqu'à sa retraite... avant de devenir indigent lui-même. C'est lui qui avait essayé d'obtenir un lot de 7 ha de landes communales; mais l'archevêque lui ayant conseillé la pauvreté, il obéit, jusqu'au dénuement.

Périodiquement, des prêcheurs itinérants venaient dans les paroisses raviver la foi des fidèles. Ils y parlaient plusieurs jours de suite au cours de magnifiques cérémonies avec processions, bannières et banderoles, et les populations, très sensibles aux flots d'éloquence sacrée, y participaient en masse, croyants ou indifférents confondus. Ils vibraient d'angoisse quand on leur parlait de l'enfer et des supplices qui les y attendaient s'ils ne redevenaient pas de bons chrétiens. On profitait de cette émotion sacrée pour leur rappeler l'amour de Dieu.

À la fin de la « Mission », on érigeait des croix commémoratives. Celles que nous voyons encore aux carrefours y ont été placées à l'issue de telles missions. Mais tout cela coûtait très cher. En 1859, le besoin d'une mission se faisait sentir mais ni M. le curé, ni le conseil de Fabrique, dont les caisses étaient vides en permanence, ne pouvaient en assumer la charge. Alors la commune vota un crédit. Quand le P. Bardin vieillissant commença à se déplacer péniblement, le Conseil lui paya un cheval. Et quand, vaincu par la fatigue et la maladie, après trente deux ans de ministère à Saint-Aubin, il dut se retirer, on lui vota une petite rente. Et c'est là qu'on assiste à un assaut de générosité très émouvant. Le nouveau curé, le P. Labaste, fit cadeau à son prédécesseur d'une partie de son traitement. Ce faisant, il se mettait lui-même en état de grande pauvreté. Le P. Bardin refusa donc, mais, pour survivre, il dut emprunter. Il végéta encore dix ans au Vigean, laissant à sa mort 64 F de dettes que la commune, reconnaissante pour ses services désintéressés, décida de payer. Par contre, le chanoine Castex, ancien missionnaire en Guadeloupe, eut quelques ennuis avec les élus qui votèrent en 1893 la résolution suivante : « Vu les irrégularités et les difficultés dans le service religieux qui résultent de la non-résidence du curé dans sa commune; vu les observations réitérées qui lui ont été faites à ce sujet ; vu les réclamations d'une foule d' habitants qui réclament une cessation de cet état de choses ; considérant que la commune s'impose des sacrifices pour avoir un prêtre, qu'elle a des locaux parfaitement convenables pour son logement, et qu'elle a le droit de jouir en tout temps de la présence de son curé ; considérant que, d'autre part la nomination d'un nouveau curé à Saint-Aubin est assurée... décide à la majorité des voix :

1) M. Castex sera invité à donner immédiatement sa démission de desservant de Saint-Aubin, faute de quoi le supplément voté par la commune ne lui sera plus versé, le certificat de résidence réclamé tous les trois mois ne sera plus signé et, par suite, le mandat du Gouvernement lui sera refusé.

2) M. le Maire est prié de faire immédiatement les démarches à l'archevêché pour obtenir à bref délai la nomination du successeur de M. Castex. « Or, le Maire, Ernest Langlois ne fit pas la démarche. Une semaine plus tard, il convoque le Conseil et lui déclare qu'il refuse de signer le texte ci-dessus car, dit-il : « la rédaction de ce procès verbal est empreinte d'une rigueur et d'une véhémence que n'a jamais méritée M. Castex. M. le curé a toujours été dans l'exercice de ses fonctions plein d'une complaisance et d'une affabilité que personne dans Saint-Aubin ne saurait contester et, si le Conseil persistait à demander son départ, il serait de son devoir (à M. Langlois), comme représentant la commune, d'adresser à M. l'abbé Castex les remerciements qu'il a bien mérités ». Pendant ce temps, à 61 ans, usé par une vie de missionnaire dans les pays chauds et par les voyages sur les bateaux à voile de l'époque, le chanoine Castex se mourait doucement. Pratiquant le pardon qu'il avait prêché toute sa vie, il légua à l'église son calice et ses ornements. Et le Conseil vota une motion regrettant « la perte d'un prêtre dévoué à la commune et sa reconnaissance pour le legs fait par lui ». Le registre du Conseil de Fabrique note qu'il fut « un prêtre zélé, doux et bienfaisant ». L'abbé Caudéran, lui, voguait plutôt dans les hautes sphères de la prière et de la science, avec une grande modestie. Par contre, il négligeait la vigne qu'on avait plantée pour lui, à l'emplacement du groupe scolaire actuel, et pour laquelle on lui attribuait un crédit et quelques tombereaux de fumier. On menaça de lui couper la subvention, puis on maintint le statu quo. Et, lorsqu'il mourut en 1899, la commune lui accorda, pour lui et ses parents, une concession gratuite au cimetière. On voit encore au pied de la croix, sa pierre tombale très abîmée. C’est l'abbé Darsouze qui présida la dernière séance du conseil de Fabrique qui constatait la dissolution de cet organisme, en même temps que la séparation de l'Eglise et de l'Etat. En ce début du 20ème siècle, une vague d'anticléricalisme para la France en deux blocs ennemis. Des journaux comme « la Lanterne » prêchent l'anéantissement de la religion et la chasse aux curés. Et, comme, à l'époque, tous les évènements sont mis en chansons, on publie une « Marseillaise » anticléricale dont voici le refrain : « Aux urnes citoyens, contre les cléricaux, votons, et que nos voix dispersent les corbeaux ! »

Émile Combes, Aristide Briand et d'autres font voter en 1905, une loi qui, abolissant le concordat de Napoléon, confisque tous les biens de l'Eglise, y compris les vases sacrés et les ornements sacerdotaux qui sont, cependant, laissés à disposition du clergé mais inventoriés. Les catholiques s'estimant lésés, s'opposent par la force à ces inventaires. La troupe et la police brisent les portes des églises et des couvents, les moines et les religieuses sont expulsés et beaucoup doivent s'exiler. On enregistre parfois des victimes. En commentant ainsi le vote de la loi, dans son numéro du 5 juillet 1905, l'éditorialiste de « La Lanterne », ayant trempé sa plume dans le fiel, écrivait : « Désormais la religion n'a plus aucun caractère officiel. La République ne couvre plus l'exploitation scandaleuse de la crédulité humaine, du fanatisme et de la superstition. Elle n'appointe plus les escrocs en soutane ». Et l'auteur regrette que la loi n'ait pas été assez dure, « car si la République ne tuait pas l'Eglise, l'Eglise tuerait la République »... Les deux sont encore bien vivantes aujourd'hui, Dieu merci ! Quant au journaliste, il est parti vérifier dans l'au-delà le bien-fondé de ses convictions. Mais que de haine !

Saint-Aubin, fort heureusement, échappa à ces convulsions. Le Pape et le cardinal Lecot, archevêque de Bordeaux, lui-même expulsé de sa résidence, avaient donné des consignes de modération et d'apaisement. Chez nous, on voit mal comment le maire Ernest Langlois et ses conseillers se seraient opposés à Ernest Langlois, ancien marguillier et aux six marguilliers en fonction, également conseillers municipaux. On procéda donc aux inventaires de la façon la plus paisible et les fabriciens s'inclinèrent pavillon haut, comme savent s'incliner les Saint-Aubinois. Voici leur dernière déclaration : « Avant de se séparer, les membres du conseil de Fabrique déclarent qu'ils sont entièrement soumis aux instructions et aux décisions du Souverain Pontife Pie X, affirment également leur obéissance aux instructions de l'archevêque qui en est le représentant et protestent avec eux contre toutes les conséquences de la loi du 9 décembre 1905 et spécialement contre la mainmise sur tous les biens mobiliers et immobiliers de la Fabrique. Toutes réserves étant faites des droits des donateurs et de ceux de l'Eglise » (le 9 décembre 1906).

À la même époque, les habitants de la paroisse signaient une pétition pour le maintien de la religion catholique et d'un prêtre à Saint-Aubin. Les enfants au berceau ont aussi été inscrits sur cette liste. On y relève 273 signatures, soit à peu près la totalité de la commune.

Texte extrait : Chronique de Saint-Aubin-de-Médoc, René-Pierre Sierra, juin 1995, éditeur mairie de Saint-Aubin-de-Médoc, p151-157.

Les curés 

 Le curé  était un personnage important dont le rôle n'était pas seulement de voguer dans les hautes sphères spirituelles. Pour bien faire comprendre aux gens qu'il avaient une âme, il fallait éveiller leur esprit, les tirer de leur ignorance, les éduquer. Qui donc, sinon l'Eglise, dépositaire de la science profane et religieuse, aurait pu s'en charger ? Avant de marier, baptiser, administrer les sacrements, il fallait leur en expliquer la signification et la portée avec des termes et des images que chacun pouvait comprendre. C'est exactement ce qu'avait fait le Sauveur quand il parlait en paraboles pour annoncer l'Evangile.

C'était un honneur pour chaque famille de recevoir le prêtre. On l'aimait bien mais on le craignait aussi. Un reproche, même léger, de cet homme entouré de l'auréole de sa fonction et de son instruction, était ressenti de façon désagréable, car on était pauvre mais on avait sa fierté. Etre en bons termes avec son curé fournissait, selon eux, la garantie d'être en excellents termes avec le Bon Dieu.

C'est pourquoi ils assistaient régulièrement à la messe et aux vêpres et évitaient de travailler le dimanche. En contact permanent avec ses paroissiens, il les aidait à rédiger une requête, à déchiffrer un acte notarié. II les conseillait pour les formalités de justice, car nos ancêtres étaient très procéduriers. Ils défendaient leurs droits du bec et des ongles. Une limite imprécise de propriété, un fossé détourné, un droit de passage, une clôture mitoyenne, une branche d'arbre qui dépassait, et les plaignants venaient demander conseil au curé. Bien souvent, conformément à sa mission de paix, il arrivait à les mettre d'accord, mais ce n'était pas toujours le cas. Ayant échoué sur le plan matériel, il ne lui restait plus qu'à prier pour eux. Les curés, par leurs connaissances des plantes étaient considérés, bien souvent comme des savants guérisseurs. Après tout, pourquoi pas ? Autant aller voir le curé dont les soins étaient gratuits, que le chirurgien qu'il fallait payer bien cher pour une saignée ou un clystère. Et puis on sait bien qu'il n'y a que la foi qui sauve !

La paroisse de Saint-Aubin, très liée à Saint-Médard dépendait hiérarchiquement du vicaire forain de Moulis - délégué de l'Evêque dans une juridiction territoriale – depuis le début de 16ème siècle. Pendant deux siècles, l'Archiprêtre de Moulis eut la responsabilité de 31 paroisses du Médoc, mais ces fonctions furent assumées le plus souvent par le curé de Saint-Médard, parfois par celui de Saint-Aubin, tel l'abbé Lalanne de 1699 à 1724.

A partir du 17e siècle, et avec quelques lacunes, nous avons pu reconstituer la liste des curés de Saint-Aubin, qu'on trouvera ci-dessous avec les quelques précisions que nous avons pu trouver.        Nous recherchons des compléments d'informations.

Sous la révolution et la Terreur, très peu de curés du Médoc ont prêté serment. On n' y relève pas le nom du chanoine Barbe, curé de Saint-Aubin. Dans ce cas, après avoir exercé son ministère, en cachette, protégé par la population, il aurait pu être arrêté, déporté et mourir martyr comme tant d'autres. Peut-être a-t-il pu fuir en Espagne comme plusieurs prêtres de la Gironde. Mais nous ne retrouvons pas sa trace après la Révolution. Après le retour au calme, notre église fut classée "chapelle vicariale" et desservie le plus souvent par un chapelain (trappiste ou vicaire)

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Texte extrait du livre du René-Pierre Sierra, Chronique de Saint-Aubin-de-Médoc, juin 1995, éditeur mairie de Saint-Aubin-de-Médoc, p 70-75.