Domaine de Cholet : 4 copropriétés depuis 1998
Ces 4 copropriétés sont encadrées par l’avenue du Général de Gaulle, les rues du Maréchal Leclerc et Alexis Cholet, traversées par la rue et l’impasse Bothiron.
Or, les noms de Bothiron, d’Alexis Cholet évoquent le passé blanquefortais : le domaine de cholet cité dans l’acte notarié du 29 juin 1789.
Domaine de Cholet : vente de Bothiron
L’étude d’un acte notarié du 29 juin 1789 nous informe de la vente, devant notaires et témoins du bien de Boutiron à Blanquefort de M. Allexis (1) Cholet « lequel a volontairement…vendu… à Messire (4 bis) André Aquart, la maison et Bourdieu (2) de Botiron…dans la paroisse de Blanquefort en Médoc avec toutes ses appartenances et dépendances » pour 112 400 livres (3) .
Le vendeur Allexis Cholet (1717-1797) a hérité de Boutiron de sa mère, Marie David (1691-1758), de la maison noble (4) de Mataplane : « appartenant laditte maison de Boutiron et susdit Bourdieu à mon dit sieur (4 bis) Cholet, tant du chef de laditte feu dame David sa mère … » il tient ce domaine de feue sa mère Marie David.
Le Bourdieu fut sans doute la dot apportée par Marie David lors de son mariage (5) avec Pierre Cholet (1660-1739) le 6 février 1714 paroisse St Michel à Bordeaux.
Nous supposons qu’alors la simple maison vigneronne (6) du Bourdieu se transforme « en un enclos (7) composé d’une maison de maître, cour et avant-cour… entouré de murs jouxtant du sud à l’est le chemin qui conduit du chemin royal à l’église de Blanquefort ».
De nos jours, il subsiste quelques murs en moellons renforcés de pierres de taille qui cheminent de l’avenue du Général de Gaulle au centre-ville ; la rumeur voulait que : « la date de 1714 est gravée sur une pierre du mur d’enclos, dans la rue du Général Leclerc », mais la preuve n’en a pas été apportée.
L’acheteur André Aquart (1727-1813) est un très riche armateur négociant (8) de Bordeaux ; sa famille est fixée à Blanquefort depuis longtemps, notamment son père Raymond y possède de nombreuses terres à Carpinet, Birehen, à Marpuch, à Vigney…
Les deux hommes ne peuvent pas s’ignorer à Blanquefort.
Tous deux, Bourgeois d’affaires de Noblesse récente (9) : l’un « chevalier », l’autre « écuyer » appartiennent à la bonne société bordelaise. Ils se côtoient :
- par leur fonction : Alexis Cholet, 72 ans, alors « Président trésorier de France honoraire au bureau des finances de Guyenne » ; André Aquart, 65 ans, « contrôleur en chancellerie prés le Parlement de Guienne » .
- par la possession de biens immobiliers dans le QUARTIER NOUVEAU de Bordeaux : Alexis Cholet « aux Allées de Tourny », André Aquart « 5, cours de l’intendance » ; ces adresses nous indiquent que tous deux possèdent des revenus confortables qui leur permettent de « tenir leur rang dans le monde ».
En effet, le quartier nouveau désiré par l’Intendant Tourny (11) a été investi par les fortunes bordelaises : parlementaires, riches armateurs, négociants, nobles… comme placements financiers.
Dès 1749, sont aménagées les Allées de Tourny, lieux de rendez-vous pour la bonne société, elles connaissent une réelle vie mondaine ;
Il semble bien que les Bordelais participent à l’élan intellectuel et scientifique du Siècle des Lumières. Ainsi, sur les allées, on trouve l’Académie Royale des Sciences Belles Lettres ouverte au débat public, fréquentée par Montesquieu. Même si la société d’Ancien Régime est encore fortement cloisonnée par la « naissance », nos deux hommes d’ affaires, par leur position, n’ont pu manquer de connaître les Lumières qui allaient révolutionner les idées, les valeurs et la culture de leur temps...
Ainsi ils ne peuvent ignorer le nom de Montesquieu (12) : Parlementaire, Académicien, Philosophe … dont la famille a possédé de nombreuses terres en Médoc plus précisément à Blanquefort comme le château du Luc cédé depuis 1713 aux Pontac, cousins éloignés.
Le Jardin Royal (alors fermé au public), dessiné de 1746 à 1756, est lui aussi le lieu de rendez-vous ou de promenade de la bonne société, notamment des armateurs et négociants :
« Dans une ville de commerce … un pareil jardin où les négociants, ayant souvent occasion de se rencontrer, en font ensemble beaucoup plus d’affaires ; c’est en quelque façon une seconde Bourse, une Bourse du soir … » Lettre de l’Intendant Tourny à Monsieur D’Argenson, secrétaire d’Etat (Louis XV).
L’acte de vente signé en juin 1789 se situe dans un contexte particulier, contemporain d’évènements politiques parisiens décisifs, que les Blanquefortais ne peuvent savoir par l’extrême faiblesse des communications.
En effet : le 17 juin, le Tiers Etat (13) s’est proclamé Assemblée Nationale (14) et s’oppose au régime politique de Louis XVI : La Monarchie Absolue de Droit Divin.
Le 20 juin, réunion des membres du Tiers Etat dans la salle du Jeu de Paume. Ils font le serment de ne jamais se séparer avant l’établissement d’une Constitution (15) (qui limiterait le pouvoir absolu).
Le 23 juin, ralliement du Clergé (1er Etat) au Tiers Etat : la société d’Ancien Régime se fissure …
Les idées novatrices du siècle des Lumières sont un des éléments qui va bousculer cette fin de siècle, nos deux bourgeois bordelais ne pouvaient ne pas les avoir entendues dans les salons, lors des réceptions …
Cet acte notarié est donc un témoin intéressant de la société d’Ancien Régime à la veille de son évolution.
De plus, cette vente a eu lieu dans un contexte économique alarmant : depuis 1788, sévissait une crise de mévente, le vin était tombé à un prix infime, or le vin est une source essentielle pour les prélèvements en espèces : droits seigneuriaux, impôts royaux ,du clergé … Surtout, depuis 1778, le chiffre d’ affaires viticole s’ est effondré :
- Soit à cause d’une surproduction, qu’aggrava la fermeture du marché anglais (guerre d’ Amérique), marché du Nord important pour les bordelais .
- Soit parce que le redressement tardif des prix en 1787 et 1788 n’est dû qu’à une faible récolte : l’été 1788 est marqué par une forte sécheresse, puis, l’hiver 1788-1789 par une forte vague de froid inhabituelle et prolongée qui touche la région bordelaise. En 1788-1789, presque toutes , les vignes furent détruites : « la rivière est prise dans les glaces jusqu’aux ¾ de sa largeur, les navires vont en dérive, entraînés par les glaces… ».
Pouvons-nous suggérer d’autres raisons à cette vente ?
L’épouse d’Alexis Cholet, Renée Féger, est décédée en 1787, or pour l’instant, nous ne connaissons de cette union qu’une fille Marie-Françoise Cholet née en 1748, dont nous perdons la trace et un fils, Guy Cholet décédé en bas âge (1751-1754 ).
En 1789, âgé de 72 ans, Alexis Cholet semble se retirer des affaires à Boutiron, il opte pour un viager qui s’achèvera en 1797, date de son décès.
André Aquart l’acquéreur, riche homme d’affaires, fait en 1789, un investissement financier à Blanquefort ; ses héritiers vendront le domaine le 20 décembre 1819.
Après différents propriétaires, celui-ci sera acheté le 27 mai 1872 par Jean Emile Poissant négociant et restera aux mains de la famille jusqu’à la fin du XXe siècle.
Lexique
(1) L’orthographe des noms communs et propres n’est pas fixé avant le 20e siècle, ainsi pouvons-nous trouver dans les documents étudiés : Alexis-Allexis, Cholet-Chollet, Aquart- Acquart, Bothiron-Botiron-Boutiron, … majuscule, pas majuscule …
(2) Bourdieu : dans le bordelais, propriété essentiellement viticole avec bâtiments. La plupart des châteaux viticoles du Médoc ont pour origine un Bourdieu.
(3) Livres : monnaie de compte utilisée en France sous l’Ancien Régime (avant 1789), sa valeur fluctue énormément au cours du temps. Cependant à titre d’exemple ,111 000 livres en 1780 équivaudraient à 1,25 million d’euros de nos jours.
(4) Maison noble : famille aristocratique ou groupe de parentés, titre héréditaire : Maison noble de Mataplane … L’extinction peut être rachetée, ici le grand-père d’Alexis David en 1703.
(4 bis) Sieur : sous l’Ancien Régime titre honorifique donné à un bourgeois ; roturier (13) aisé, il vit noblement.
« Sieur de » signifie qu’on est propriétaire d’un lieu : seigneur de Mataplane.
« Messire » dénomination honorifique sous l’Ancien Régime, réservée oralement ou dans les actes aux personnes de qualité.
(5) Mariage-dot : sous l’Ancien Régime le mariage, la dot ... est une occasion de conquérir ou de garder une place dans la Société, de contracter une alliance intéressante. Le mariage reste un acte marchand, il est surtout l’occasion de s’allier à une autre maison (Cholet-David, David-Féger, …) Si la fortune est grande c’est le développement de l’affaire familiale qui dicte le choix.
(6) Maison vigneronne : petit bâtiment édifié sur une parcelle en vignes pouvant servir d’habitat temporaire ou saisonnier et de remise à outils.
(7) Un enclos : domaine clôturé par un mur, marque de notabilité.
Une maison de maître : maison appartenant à un notable ou des personnes issues de la bourgeoisie. Le propriétaire aisé était alors un « maître » de maison, qui avait des domestiques (nourrices, valets, …).
(8) Armateur : qui s’occupe de l’exploitation commerciale d’un navire.
Négociants : personnes qui font du commerce en gros au 18e siècle ; être négociant est le signe d’une certaine aisance financière et d’une reconnaissance sociale.
(9) Noblesse récente (16e) : soit par achat d’une seigneurie,
soit par l’achat d’une charge anoblissante (noblesse de robe).
(10) Le « Quartier Nouveau » : de Tourny s’établit près du glacis du château Trompeyte. Futur triangle bordelais.
(11) Intendant Tourny : agent du pouvoir royal dans une province (administrateur).
TOURNY : Louis Urbain Aubert Marquis de Tourny (1695-1760) devient intendant de Guyenne (1743-1757) contre l’avis des parlementaires bordelais il modernise la ville (quais, places, avenues, jardin royal, …) et lui donne son caractère architectural : « tout dans le Bordeaux moderne respire la grandeur comme à Versailles » Victor Hugo.
(12) MONTESQUIEU : Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu (1689-1755). « En 1200 on signale la présence de Renaud ou Raymond du Luc de Blanquefort à l’assaut du château de la Brède dont il devint possesseur, tissant ainsi le lien qui va unir ce château à celui du Luc ou Dulamon durant plusieurs siècles. Tout comme les châteaux de Belair, Pey Astruc et de Saint-Ahon.
A la mort de Jacques de Secondat le 15 novembre 1713, le père de Montesquieu, le château du Luc passe aux mains d’un cousin éloigné : Léon de Pontac.
Ces 2 familles alliées Montesquieu-Pontac, appartenaient par leur fonction, riches parlementaires bordelais, à la Noblesse de Robe.
(13) Tiers État : sous l’Ancien Régime représente 97% de la population, hormis le Clergé, la Noblesse (d’épée, de robe). Il est composé des bourgeois, des artisans, des ouvriers, et des paysans (80 % du Tiers État) : les roturiers. Il paie des impôts au Roi, au Clergé, à la Noblesse.
Les trois États avaient été réunis en assemblée (Les Etats Généraux) à Versailles par Louis XVI le 5 mai 1789 pour voter de nouveaux impôts et des réformes.
(14) Assemblée Nationale : réunion de représentants de la Nation (pouvoir législatif-lois).
(15) Constitution : texte fondamental d’organisation des pouvoirs publics dans un État (exécutif, législatif, judiciaire).
(16) Le SIECLE DES LUMIERES : le 18e siècle va connaitre une évolution culturelle promue par des philosophes, des écrivains, … basée sur la raison ; ils luttent contre les injustices politiques, sociales et les intolérances religieuses de la société d’Ancien Régime. Ils vulgarisent le savoir par l’Encyclopédie.
(17) Viager : vente d’un bien immobilier à un tiers jusqu’au décès de l’ancien propriétaire en échange du versement d’une rente viagère périodique.
Sources : site Portes du Médoc,
Blanquefort : rues et lieux-dits publication du GAHble 1996,
Archives départementales de la Gironde : côte 3 E 15433 notaire Jean Joseph Dugarry,
Précis d’Histoire de la République Française Albert Saboul,
La Révolution française et l’économie de 1750 à 1815 F. Hinckler,
Le vignoble de Bordeaux et son climat L. Papy,
Blanquefort et sa région à travers les siècles, Bordeaux 1952, Guy Dabadie,
Histoire de Bordeaux (sous la direction de Robert Etienne) l’université de la France Privat 1990.
Christiane Dupuy, Martine Le Barazer, mai 2025.